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Six questions inconfortables aux marchés qui voient tout en rose

D'après « LE ROUGE ET LE NOIR » d'ALESSANDRO FUGNOLI, stratège - En Amérique comme en Europe et en Chine, les marchés sont optimistes sur la tendance économique mais certains doutes sont légitimes : sur les réformes de Trump, sur la politique de la Fed, sur la première, sur l'avenir de la Chine, sur l'effet Macron et sur l'euro

Six questions inconfortables aux marchés qui voient tout en rose

Le récit dominant parle d'une économie mondiale en accélération en 2017 et encore plus forte en 2018. Il parle de réformes pro-croissance à venir en Amérique et, maintenant que Macron a gagné, également en Europe. Il cite l'inflation de retour à un niveau parfait, ni trop haut ni trop bas, comme le meilleur support pour un marché obligataire calme. Et il cite le climat économique positif comme la meilleure justification d'une reprise ordonnée, forte et sûre des actions. Il déclare la phase anti-système qui a balayé l'opinion publique en Occident ces deux dernières années, y voit un effet différé des difficultés initiales à remettre l'économie sur les rails après 2008 et voit poindre à l'horizon une nouvelle phase de restauration de la mondialisation. . quoique revue et corrigée.

Comme tous les paradigmes interprétatifs réussis, ce récit parvient à expliquer de manière convaincante une grande partie de ce qui se passe. Comme tous les paradigmes, cependant, il tend à supprimer les questions embarrassantes sur tout ce qui ne le confirme pas. Nous consacrons la note de cette semaine à certaines de ces questions.

La première question embarrassante concerne les réformes majeures que Trump et les républicains au Congrès ont promises à l'Amérique ces derniers mois. Si ces réformes dérivent de plus en plus et semblent de plus en plus vagues, pourquoi Standard and Poor's reste-t-il silencieux sur des sommets historiques et pourquoi le Nasdaq atteint-il de nouveaux sommets presque tous les jours ?

La réponse donnée par le marché est que pour 2017 nous n'avons pas besoin des réformes car l'amélioration des bénéfices suffit à justifier l'augmentation. Les réformes seront utiles en 2018. Dans cette attitude, la présence de lentilles roses devant les yeux est perceptible. Les bénéfices augmentent en effet, mais seulement dans certains secteurs et pas dans une mesure suffisante pour justifier pleinement l'augmentation. Quant aux réformes, il est de plus en plus clair que nous aurons une baisse de l'impôt sur les sociétés, mais pas une réforme fiscale globale et profonde. Sur l'ampleur de cette coupe on aura un premier chiffre (non pas de taux, mais de dollars à allouer au budget) de Trump d'ici la fin du mois, ensuite ce sera à la chambre basse d'indiquer le sien par fin juin et ensuite tout ira au sénat. S'ensuivront au moins six mois de discussions sur la manière de répartir les coupes et de les compenser éventuellement par la suppression des abattements et des abattements. Tout ne peut avancer que si la réforme de la santé a été définitivement approuvée au préalable et pour cela il faudra attendre fin septembre.

L'échange politique sur le FBI et l'enquête sur la Russie vont peser sur la qualité de la réforme, deux dossiers qui fédèrent les démocrates et divisent davantage les républicains. Afin d'approuver le successeur de Comey sans prolonger l'obstructionnisme au-delà de l'automne et alléger l'atmosphère du Watergate qui règne aujourd'hui à Washington, les démocrates vont en effet demander des concessions fiscales.

La deuxième question embarrassante concerne la Fed. Si la croissance de 2017 sera la même que celle de 2 % depuis 2011, pourquoi diable devrions-nous accepter les quatre hausses prévues par la Fed cette année (sans parler des trois-quatre autres en préparation pour 2018) alors que ces dernières années la simple hypothèse d'une hausse unique était perçue comme un risque sérieux pour l'économie et la bourse ? Ne voit-on pas déjà les conséquences de cette nouvelle politique dans l'automobile et dans l'habitation, deux secteurs très sensibles au niveau des taux d'intérêt ?

Pour l'instant, la réponse du marché est celle, classique, de la première phase d'un cycle restrictif. Si la Fed augmente ses taux, dit-on, cela signifie que l'économie se porte bien. Pour l'instant, c'est une réponse sensée, mais il ne faut pas oublier que la Fed augmente également les taux pour pouvoir les baisser lors de la prochaine récession. Pour ce faire, elle aussi est obligée de porter des lunettes roses et de dire que tout va bien. C'est le contraire de ce qu'il disait il y a un an, lorsqu'il trouvait toujours un problème pour pouvoir reporter la hausse des taux. Curieusement, la croissance était alors la même qu'aujourd'hui.

La troisième question inconfortable concerne les matières premières. Si la reprise mondiale est aussi forte qu'on le dit, pourquoi l'indice des matières premières est-il aujourd'hui en dessous du niveau du 8 novembre, jour des élections de Trump ?

Ici la réponse des optimistes paraît convaincante. Ce n'est pas la demande qui est plus faible que prévu, mais l'offre qui est beaucoup plus importante. Dans le pétrole, par exemple, le retour à la production en Amérique est supérieur aux baisses de l'OPEP et de la Russie. Cela dit, la baisse des matières premières des deux derniers mois est amplifiée par le dénouement des positions spéculatives haussières construites lors du rallye Trump. Maintenant, le marché est propre et peut lentement se remettre sur pied.

La quatrième question embarrassante concerne la Chine. Si les marchés émergents se portent aussi bien qu'on le dit et avec tout l'argent qu'on leur apporte, comment se fait-il que l'indice de la principale bourse émergente, celle de Shanghai, ait perdu toute la hausse de février et mars et soit aujourd'hui sous le niveau de début d'année ?

Ici, il y a deux réponses, une économique et une technique. La première, et la plus importante, nous apprend que la Chine a trop stimulé son économie au second semestre 2016, suffisamment pour battre les objectifs du plan. Comme cela arrive toujours dans ces cas-là, certains secteurs de son économie se sont échauffés et ont dû passer de l'accélérateur au frein au cours des dernières semaines. Cela a eu un impact sur la bourse de Shanghai, mais il faut dire que le ralentissement en cours sera de courte durée, que le taux de change du renminbi est stable et maîtrisé et que le gouvernement fera tout son possible et impossible pour arriver à le congrès à l'automne avec un bon niveau de croissance et des marchés financiers calmes.

Quant aux flux, il faut rappeler que l'argent qui arrive à cette période d'Amérique et d'Europe ne se retrouve pas auprès des entreprises chinoises cotées à Shanghai mais auprès de celles (souvent les mêmes) cotées à Hong Kong, qui de fait montent en prix . Malgré la baisse à Shanghai et la hausse à Hong Kong, cette dernière part est toujours décotée. Cette décote justifie à elle seule de nouveaux flux et de nouvelles augmentations.

La cinquième question inconfortable concerne le nouveau paysage politique européen, qui suscite beaucoup d'espoir sur les marchés. Mais pourquoi, peut-on se demander, tout cet optimisme sur la capacité de Macron et Merkel à réussir à réformer l'Europe, alors que Sarkozy-Merkel et Hollande-Merkel n'y sont pas parvenus ?

La réponse n'est pas certaine, mais il ne fait aucun doute que la zone euro est actuellement dans une phase cyclique plus vigoureuse. Ceci, combiné à une plus grande volonté allemande de concéder quelque chose (pas grand-chose), pourrait donner à Macron plus de marge pour réduire les dépenses publiques et libéraliser le marché du travail. En tout cas, le plus grand défi pour lui ne sera pas politique mais social. La France n'est pas habituée à l'austérité.

Une autre question sur l'Europe est pourquoi, avec tout cet optimisme, l'euro n'a pas pu franchir le seuil de 1.10 contre le dollar. Ici, le rôle de la BCE et sa volonté politique de maintenir des conditions monétaires et de change ultra-favorables jusqu'à la fin du cycle électoral européen sont évidents. Ce n'est donc qu'en 2018 que l'on assistera à un renforcement de l'euro

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