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Messori : punir la Grèce et la sortir de l'euro serait catastrophique pour tout le monde

La combinaison perverse d'application tardive des règles définitives, de financement au cas par cas, de sanction certaine mais indéterminée de la Grèce est la meilleure recette pour énerver les marchés et conduire à des faillites. Selon l'ancien président d'Assogestioni, pour résoudre la crise il faut plutôt miser sur une "coupe douce".

Messori : punir la Grèce et la sortir de l'euro serait catastrophique pour tout le monde

Avec un ratio dette/PIB d'environ 150%, une croissance attendue négative pour les deux prochaines années et des taux d'intérêt nominaux à 4%, la Grèce apparaît plus insolvable qu'en crise de liquidité. L'UE, le FMI et la BCE ont accordé un prêt de 110 milliards d'euros au pays grec et peut-être 60 autres seront nécessaires en 2012.
FIRSTonline a demandé au professeur Marcello Messori, économiste à l'Université de Rome "Tor Vergata" et ancien président d'Assogestioni, de tracer les contours du cas grec : point de la situation, risques actuels, scénarios futurs.

Professeur, pensez-vous que les instruments "d'économie d'Etat" actuels, le Fesm (Mécanisme Européen de Stabilité Financière) et le Fesf (Fonds Européen de Stabilité Financière), sont crédibles et suffisants pour éviter la faillite grecque ?
Ces deux mécanismes ont marqué les progrès de l'aide européenne mais restent très insuffisants. Revenons au début de l'année 2010, c'est-à-dire lorsque la crise de la dette publique grecque s'est manifestée et que les autres pays de l'union monétaire européenne ont commencé à discuter des modalités de leur éventuelle intervention. Comme on le sait, l'article 122 du traité de Lisbonne n'autorise un soutien financier à un pays de l'UEM en difficulté que si la crise de liquidité est due à des circonstances exceptionnelles. Peut-être en considération du fait que la Grèce avait manipulé ses comptes publics pendant de nombreuses années, les autres membres de l'euro ont considéré l'art. 122 et a opté pour un ensemble de prêts bilatéraux impliquant également le FMI. L'octroi de ces prêts était conditionné à la fixation de coûts d'emprunt trop élevés et à des ajustements budgétaires et macroéconomiques trop exigeants. Était-il juste de « punir » les Grecs pour éviter un effet « d'aléa moral » ou la récurrence de comportements « cigales » à l'avenir ? Ou aurait-il été plus prospectif de proposer un prêt à des conditions strictes mais réalistes ? Je n'ai jamais douté d'opter pour la deuxième alternative. Le fait est que la volonté de « punir » et la construction lourde de prêts bilatéraux ont retardé le soutien à la Grèce et l'ont rendu plus cher tant pour les prêteurs que pour les débiteurs. Les autres pays de la zone euro sont donc aussi responsables de la dégénérescence de la dette publique grecque.

Imaginons que la Grèce opte pour une restructuration de la dette. Quelles sont les différences et les différentes conséquences d'une coupe de cheveux ou d'un reprofilage ?
Pour les marchés, restructuration signifie toujours échec (défaut). Pourtant, les différences économiques sont cruciales. Le défaut signifie que le débiteur se déclare insolvable et ne rembourse qu'une partie du prêt obtenu. La restructuration, qui oblige également le créancier à un "haircut", tend au contraire à sauvegarder la valeur nominale du prêt mais à allonger sa maturité et à réduire le taux d'intérêt relatif. Le reprofilage est une restructuration "douce" convenue entre les parties. Un reprofilage a déjà eu lieu en catimini ce printemps : les pays de l'UEM ont allongé la durée du prêt de 5 à 7 ans et réduit les intérêts de 5,2 à 4,2 %. Cependant, cela ne suffisait pas. Cela mène au cœur du problème. La restructuration de la dette publique grecque, qui ne pourrait concerner que les emprunts des autres pays européens et ne pas affecter les particuliers ou impliquer un "haircut" modeste pour l'ensemble des créanciers, devrait être liée à de nouveaux financements européens et à une période réaliste de plan d'ajustement à moyen-long terme . Bref, elle doit être mise en œuvre immédiatement et doit être décisive ; à l'inverse de ce qui a été décidé par le Conseil européen de fin décembre 2010 et réaffirmé par celui de fin mars 2011 à travers la création d'un nouveau mécanisme de sauvetage (le Mes), qui ne deviendra opérationnel qu'en mi-juin 2013 et qui tendra à subordonner le soutien européen aux « décotes » sur les titres publics détenus par les particuliers. La combinaison perverse de l'application tardive des règles finales, du financement au cas par cas, de la sanction certaine mais indéterminée est la meilleure recette pour énerver les marchés et conduire à des faillites non gouvernées.

La presse anglo-saxonne la plus espiègle soutient que la seule issue pour la Grèce est le retour à la drachme. Fantasmes ou scénario viable ?
Les banques grecques détiennent près de la moitié de la dette publique grecque. Si la Grèce échoue et quitte l'euro, beaucoup devront être nationalisés. Mais avec quels fonds ? Du jour au lendemain, la Grèce serait coupée des marchés internationaux et ne pourrait plus recourir aux capitaux étrangers. Pour ne pas transformer la récession en dépression dramatique, Athènes devrait alors imprimer de l'argent pour financer les dépenses publiques courantes et les décaissements en faveur des banques, s'enveloppant ainsi dans un maelström inflation-dévaluation de la nouvelle drachme. Au-delà des obstacles institutionnels à la sortie de l'euro, un tel scénario ressemble plus à un cauchemar qu'à une possibilité. Le retour à Weimar ne devrait séduire personne.

Quelles en seraient les conséquences pour le système financier européen ? L'Irlande et le Portugal auraient-ils intérêt à suivre les traces de la Grèce ?
Comme dans l'histoire de Poe, le tourbillon grec attirerait d'abord les navires les plus proches (Irlande et Portugal) puis investirait les navires les plus éloignés mais fragiles (les autres pays périphériques). Ce serait la fin de l'euro. D'autant que la contagion s'étendrait à la Banque centrale européenne, qui détient des obligations publiques de la Grèce et d'autres pays périphériques achetées sur le marché secondaire. Par ailleurs, la BCE a accepté ces mêmes titres en garantie de prêts aux banques européennes. Les difficultés de la BCE seraient immédiatement transférées aux banques les plus exposées aux titres de la Grèce et des autres pays en difficulté : les Cajas espagnoles, les Landesbanken allemandes et de nombreuses banques françaises. Même les grands pays de la zone euro devraient donc sauver leur secteur bancaire et grever les budgets publics. L'égoïsme national atteindrait son paroxysme. Je ne veux même pas penser à une alternative aussi catastrophique.

L'UE ou les gouvernements nationaux auraient-ils les moyens de limiter les dégâts d'un éventuel effet domino ?
Les solutions techniques existent, c'est surtout un problème politique. Les Allemands doivent se convaincre qu'un tel scénario, avec la faillite de l'euro ou, plus réaliste, les pays périphériques en récession prolongée, ne sert personne et surtout eux. Les deux tiers des exportations allemandes sont destinées à l'Europe. Et 50% de ceux-ci sont absorbés par la périphérie. L'industrie allemande en ressentirait les effets, tout comme de nombreux intermédiaires financiers qui pourraient demander un renflouement public. Si Berlin comprend ce risque, la cogestion de la dette au niveau européen serait également assez simple à mettre en place. Sans entrer dans les détails techniques, il suffirait : d'autoriser les émissions d'eurobonds pour un montant égal au stock de dette souveraine des pays périphériques ; et avoir une garantie conjointe des pays de l'euro sur ces questions. Cela aurait pour effet de comprimer les charges financières au point de rendre les processus d'ajustement budgétaire soutenables même dans les pays les plus en difficulté.

Après l'Espagne, l'Italie est souvent pointée du doigt comme le maillon le plus faible de la chaîne. Partagez-vous cet avis ? Quels risques notre pays court-il ?
Si le scénario du pire devait se produire, l'Italie et la Belgique seraient elles aussi bientôt débordées. Cependant, je ne veux même pas concevoir une image aussi catastrophique. Je pense que, même sans choisir les meilleures solutions techniques, l'UEM saura s'en sortir. Si tel est le cas, l'Italie a d'excellentes chances de rester à l'abri de la contagion. Le système bancaire italien est actuellement peu rentable mais reste peu exposé aux obligations d'Etat des pays en difficulté. Notre déficit public semble maîtrisé, à tel point que nous sommes proches d'un nouvel excédent primaire. A court terme, le ratio dette italienne/PIB reste élevé mais soutenable. Notre problème concerne plutôt le long terme : comment se positionner sur une trajectoire de croissance européenne si la productivité baisse et si nous sommes en marge des processus internationaux d'innovation technique qui font date ?

En adoptant l'euro, les pays périphériques ont bénéficié d'une forte baisse des taux d'intérêt. Au lieu d'une convergence des structures économiques, il y a eu un boom de l'investissement et de la consommation de crédit, suivi de déséquilibres chroniques des comptes courants, de bulles immobilières, de banques remplies d'actifs toxiques et enfin d'une dette publique en flèche. Pour sortir de la crise et éviter qu'elle ne se reproduise, que pensez-vous qu'il faille faire pour améliorer la gouvernance économique de la zone euro ?
En premier lieu, la phase aiguë de la crise doit être surmontée. Une "coupe de cheveux douce", comme déjà mentionné, est à mon avis la meilleure solution pour la plupart des pays périphériques. Une fois cela fait, il faudra relancer la croissance dans ces pays avec un programme de soutien approprié. Dans le même temps, la nouvelle gouvernance devra éviter un retour au temps des « cigales » publiques et privées. A long terme, cependant, des risques pour la stabilité subsistent : les pays de la zone euro n'ont pas aujourd'hui de structures économiques compatibles. Pour se sentir bien ensemble, il faut donc pallier les déséquilibres nationaux et régionaux par des politiques actives. Certaines des solutions techniques de gestion de la dette publique européenne (par exemple celle que j'ai proposée dans une note du CEPS en mars dernier) envisagent des émissions d'eurobonds qui, comme effet secondaire, rapportent des dizaines de milliards d'euros de profit. Ces fonds pourraient être dépensés pour accroître la compétitivité des pays les plus faibles, avec des investissements dans le capital matériel et immatériel et dans la formation des ressources humaines. Nous devons faire en sorte que l'Europe grandisse; et que cette croissance est répartie entre ses différents états.

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