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Marchés et élections, attention France et Allemagne

Extrait de "LE ROUGE ET LE NOIR" d'ALESSANDRO FUGNOLI, stratège Kairos - "Le scénario politique européen change chaque semaine" - Ce qui se passe réellement en France et en Allemagne et quels en seront les effets sur les marchés, à commencer par l'euro - Grande anticipation pour la réforme fiscale de Trump.

Marchés et élections, attention France et Allemagne

La scène politique européenne change maintenant chaque semaine. Et nous ne parlons pas de la Roumanie, où le peuple est massivement descendu dans la rue en janvier et février contre le gouvernement qui a voté avec enthousiasme en décembre, mais de la France, de l'Allemagne et de l'Italie, les trois pays qui ont uni l'Europe, avec le Benelux, la ils ont fondé.

Agitée et frustrée, l'opinion publique fluctue énormément. En France, Fillon est apparu pour la première fois de façon surprenante en décembre avec un programme thatchérien qui semble gagner un grand succès. Puis Hamon surgit encore plus surprenant parmi les socialistes, qui critique Hollande par la gauche et rappelle vaguement l'américain Sanders. Deux semaines passent et Fillon s'effondre, tandis que le centriste modéré Macron émerge de manière autoritaire, mais le parti socialiste, dont il a toujours appartenu, excommunie non seulement lui mais quiconque veut le soutenir.

Marine Le Pen, quant à elle, donne les détails de sa proposition de sortie immédiate de l'euro. Dévaluation française limitée à 20 % si l'euro se dissout, le franc libre d'aller où il veut si l'euro reste vivant.

Banque de France ramenée sous contrôle politique, assouplissement quantitatif de 100 milliards de francs par an (40 pour le rachat de dette, 30 pour la prévoyance, 30 pour la politique industrielle) et taux cible de l'OAT à dix ans entre 2 et 3%.

Rappelons que les élections françaises ne s'achèvent pas le 8 mai avec le scrutin présidentiel mais se répètent en juin avec les deux tours politiques tout aussi importants. Celui qui remportera les élections présidentielles aura en fait de gros problèmes au parlement. Macron n'a pas de parti, Le Pen gagnera peu de sièges, Fillon et Hamon devraient recourir à une grande coalition, une nouveauté absolue pour la Ve République, née pour la gouvernance.

En Italie, étonnamment, les sondages commencent à montrer que les trois principaux alignements politiques sont sensiblement égaux. En Allemagne, pays où les sondages ne semblaient jamais se tromper et où les mouvements de l'opinion publique sont aussi lents que les bradyséismes phlégréens, l'irruption de Martin Schulz dans la politique intérieure a bouleversé tous les équilibres en quelques jours. Schulz non seulement dépasse prestement Merkel dans les sondages de la chancellerie (50 % lui, 34 %), mais réussit le miracle impensable de ressusciter un SPD qui, depuis une décennie, se demande ce qu'il fait sur une scène politique surpeuplée qui offre ou des personnalités comme Merkel ou des identités fortes comme celles de Linke, les Verts et à droite, Alternative fur Deutschland.

Ce qui est fascinant, c'est que si le SPD a un programme aussi vague et fade que de l'eau tiède, Schulz n'a pas ça non plus. Et non seulement il ne l'a pas, mais il ne l'a jamais eu dans sa carrière politique. Après avoir été libraire pendant vingt ans dans une petite ville rhénane endormie (le libraire en Allemagne est un travail très sérieux et très estimé et en fait il est rapidement devenu maire de cette ville), Schulz a fait une carrière très rapide basée sur celle part un discours brillant et énergique et de grandes capacités d'organisation et, d'autre part, se tenir à l'écart de toute question controversée et gagner en visibilité grâce à des duels vivants et mémorables sur des questions politiquement correctes (mémorables et tous sur Youtube sont ses affrontements avec Berlusconi, Farage, Godfrey Bloom et même Cohn-Bendit). Son site contient des propositions génériques sur des sujets complètement décontractés.

Pour les marchés, Schulz peut peser de deux manières. La première est que tout dépassement électoral lui permettrait de pouvoir choisir entre une alliance gouvernementale renouvelée avec une Cdu-Csu qui n'est plus alors dirigée par Merkel et une coalition (jusqu'ici taboue) avec Linke et les Verts. Dans ce second cas, on aurait l'adoption de politiques redistributives non seulement en Allemagne mais dans toute l'Europe. La seconde est que l'européanisme de Schulz, moins critique que celui de Merkel, pousserait à une plus grande intégration continentale et à une fermeture plus nette vis-à-vis du Royaume-Uni.

En 2012, Schulz s'est prononcé en faveur des euro-obligations. Il l'a probablement fait parce que Merkel s'y est opposée. Aujourd'hui, Schauble intensifie son tir contre la BCE car il sait que Schulz ne veut pas et ne peut donc pas attaquer Draghi. Dans les positions des politiques il y a toujours une composante de pure tactique sur laquelle il faut faire la tare, mais nul doute qu'un succès de Schulz, surtout s'il est passé en coalition avec les Verts et Linke, réduirait l'écart entre les périphérie et le centre ou elle réduirait l'élargissement qui est prévu pour les deux prochaines années.

Il est évident que les mouvements d'opinion en Europe ne vont plus uniquement dans le sens du populisme, tout comme il est évident que les populismes européens se présentent de plus en plus sous des traits distincts (démocratie directe et État léger au Nord, étatisme en France , idées confuses en Italie et en Espagne). Le continent a un grand désir de nouveauté, mais il montre aussi qu'il se lasse vite de ces nouveautés.

Dans ce scénario, les investisseurs peuvent adopter deux types d'attitude. La première, qui s'applique aux marchés boursiers mais pas aux obligations, est de décider d'ignorer la politique, les sondages et les élections et de se concentrer sur des niches qui en sont à l'abri. La seconde est d'être tactique et léger avant les phases pré-électorales (quand tout le monde veut être tactique et léger) et d'acheter des options d'achat (si vous êtes léger) ou de mettre (si vous êtes fort) avec expiration à partir de mai. Marquons à nos agendas le 8 mai, jour du scrutin français et échéance la plus délicate de 2017.

Il est courant de dire, dans cette période, que les conditions structurelles, en particulier les politiques monétaires ou fiscales pro-croissance qui inspirent presque tous les gouvernements des pays avancés, sont plus fortes que les événements adverses qui pourraient survenir. C'est une grande vérité, confirmée par la réaction des marchés au Brexit et à Trump. Cependant, c'est une vérité qui peut admettre des exceptions si les événements indésirables eux-mêmes ont une signification structurelle. Une sortie française de l'euro (bien qu'il s'agisse encore d'un scénario résolument décalé) et la probable fin conséquente de l'euro lui-même ne laisseraient pas les marchés indifférents.

Dans ce contexte, il est très heureux que l'Amérique soit si solide. L'économie ne va pas très bien (le quatrième trimestre a été nettement plus faible que le troisième, surtout si l'on tient compte de la constitution de stocks provoquée par l'effet Trump sur les services d'achat des entreprises) mais la résilience psychologique des marchés est excellente. La conviction que la réforme fiscale la plus radicale et pro-croissance de l'après-guerre émergera des travaux du Congrès est solide et n'est pas affectée par les escarmouches que l'administration doit affronter avec les juges et dans les commissions parlementaires sur l'immigration et les nominations. Il est clair que les premiers résultats concrets sont attendus du Congrès pour repartir à la hausse. En attendant, cependant, même si l'on sait qu'il faudra peut-être des mois pour voir le lancement effectif des réformes, personne ne semble encore ressentir le besoin de descendre des niveaux déjà élevés. De leur côté, les obligations et l'or ont retrouvé des couleurs sans avoir besoin d'un retournement de tendance en bourse. En toile de fond, la stabilité du dollar contribue de manière décisive à la sérénité des marchés.

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