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La Grande Guerre illustrée au Château d'Udine

Au Château d'Udine, pour la première fois, cette exposition – ouverte jusqu'au 07 janvier 2018 – en rend compte de manière organique, puisant dans un patrimoine unique au monde : la Collection Luxardo, du nom du médecin de San Daniele del Friuli qui au cours des années de l'immédiat après-guerre, il collectionne plus de 5600 XNUMX numéros de magazines et de monographies d'époque, grâce à un réseau dense d'échanges avec d'autres collectionneurs en Europe.

La Grande Guerre illustrée au Château d'Udine

A côté de la guerre dramatiquement mêlée de boue et de sang, se déroule de 1914 à 18 une guerre parallèle, non moins décisive, faite de mots et surtout d'images.

La Collection, patrimoine des Musées Civiques d'Udine, représente une grande partie de ce qui a été produit pendant les années du conflit sur tous les fronts et dans toutes les langues. Y figurent les publications officielles, outils de propagande des différents Gouvernements et Commandements ; mais aussi et surtout ce qui, dans les tranchées, avec l'utilisation du miméographe (à l'époque on l'appelait vélocigraphe), a produit - directement - ceux qui ont vécu et subi ce conflit en première ligne.

Sur le front italien (comme ce qui s'est passé pour toutes les parties impliquées dans le conflit) derrière ces instruments apparemment spontanés, s'installe le puissant "Servizio Propaganda" (appelé "Servizio P"), recherché par l'état-major après la défaite de Caporetto. En effet, à partir de janvier 1918, il fut décidé que chaque Armée, et en descendant chaque Corps jusqu'au Bataillon unique, serait flanquée d'un "Office P", chargé de veiller au moral des troupes, de leur assurer assistance, se rafraîchir et se divertir pendant le temps libre, et instiller la confiance et, si possible, la bonne humeur.

Les magazines de tranchées sont le fruit le plus clair de cet effort de propagande titanesque. A la fin de la guerre, rien qu'en Italie, ils étaient près d'une centaine, et rien que dans les derniers mois du conflit, le nombre de documents papier échangés sur le front, largués sur les lignes ennemies ou disséminés à l'intérieur du pays atteignit le chiffre hyperbolique de 62 millions d'articles dont des magazines, des cartes postales, des affiches, des bulletins.
Une véritable offensive papier menée au son des proclamations, des messages répétés à un rythme effréné, des incitations, des demandes impérieuses ou des mots d'esprit persuasifs... tout ce qui peut redonner confiance en sa propre force et foi en la victoire. A véhiculer des concepts simples, immédiats, dans le respect des directives de l'Etat-Major, qui prescrivent "des expressions plates et accessibles, qui sans avis convainquent des sujets abordés". En fait, pour le Service P, les troupes et le peuple sont presque des enfants à l'âme simple et bon enfant, qu'il faut conquérir en recourant à l'imagination, à l'imagination, aux jeux et parfois à quelques clins d'œil goliardiques. Même les rébus, les charades, les tirages au sort sont en fait pliés à l'objectif. Avec ces nouveaux outils, un nouvel appel aux armes est mis en œuvre, qui implique toutes les composantes sociales et culturelles du pays derrière les lignes des Piave, jeunes intellectuels socialistes et catholiques, appelés à servir dans les rangs du Service P et destinés , quelques années plus tard seulement, pour connaître des destins très différents. Dans les pages des magazines de tranchée, des écrivains, des journalistes, des chroniqueurs et des "crayons" plus ou moins célèbres (de nombreux illustrateurs enrôlés comme officiers ou sous-officiers) comme Umberto Bunelleschi, Antonio Rubino, Aldo Mazza, Filiberto Scarpelli, Eugenio Colmo (dit Goliath), Bruno Angoletta, Mario Sironi, Ardengo Soffici, Carlo Carrà, le jeune "caporal" Giorgio de Chirico, Enrico Sacchetti, Mario Buzzi, qui dans les années suivantes deviendront des protagonistes dans le monde de l'illustration pour des livres ou des magazines, des affiches ou de l'art et de la peinture.
Un nouveau médium fait également irruption dans la narration et la création de l'imaginaire : le cinéma, documenté dans l'exposition par des exemples de l'animation américaine. Quelques années seulement après les fameuses expériences pionnières de Windsor McCay, les troupes américaines, qui ont fait de la puissance et de l'innovation technologique leur carte de visite sur les champs de bataille européens, se livrent en effet à des dessins animés satiriques. C'est le début de l'ère des dessins animés, qui aura ensuite une grande part dans la Seconde Guerre mondiale, et qui a désormais pour protagonistes des soldats ridicules et maladroits des puissances centrales.

Le choix d'associer cette analyse historique à une rubrique consacrée à la mémoire de la Grande Guerre à travers l'œil et la sensibilité d'illustrateurs contemporains est original et engageant. Un parcours presque parallèle qui implique le visiteur à partir de la salle du Parlement, au début de l'exposition. Ici parmi les fresques qui rappellent la bataille de Lépante, les images de « 1916 : le premier jour de la bataille de la Somme » de Joe Sacco défilent, projetées en grand format sur les murs antiques, dans un jeu de références et de renvois entre les guerres du passé et la modernité bouleversante de la Première Guerre mondiale. L'utilisation de projections vidéo, d'écrans tactiles et de répertoires de références numérisées accompagne en effet l'ensemble du parcours de visite, qui s'articule autour de plusieurs volets thématiques : le premier, « Nous et Eux », compare précisément à travers deux écrans et projections, accompagné de effets sonores, la construction de l'imaginaire de l'ennemi, parfois grotesque, ridicule, monstrueux. Une salle - et ce sera comme entrer dans le "centre de commandement" du Service P - est consacrée aux directives officielles de l'Etat-Major, récupérées en puisant directement aux sources originelles de l'Armée. Un espace spécifique est dédié aux journaux autrichiens qui ont falsifié des journaux italiens pour des raisons de contre-propagande, par rapport aux originaux. Deux salles sont réservées, l'une pour la présentation d'un grand nombre de magazines corporels, et l'autre pour une importante sélection d'œuvres d'illustrateurs de plus grande qualité et d'intérêt graphique et artistique. Vient ensuite un espace monochromatique qui abrite des magazines d'autres pays et des alignements, dans différentes langues et - dans un cadre suggestif qui intègre la couleur lilas des feuilles originales - une salle dédiée aux miméographies et aux feuilles spontanées rares, souvent publiées en copies uniques, parfois de l'activité de militaires internés dans des camps de prisonniers. Dans cette section, il sera possible de constater à quel point le langage commun peut devenir lorsque les mêmes conditions de vie se présentent : en effet, bien que ces feuilles soient l'œuvre de soldats français, allemands ou italiens, elles semblent avoir été dessinées de la même main. L'exposition se clôt sur les planches originales de contemporains, conteurs par l'image qui ont illustré et continuent d'illustrer des fragments de la Grande Guerre. Gipi, Manuele Fior, Jacques Tardi – écrivain et dessinateur, de l'école française, l'australien Joe Sacco et l'illustrateur connu dans le monde entier et désormais considéré comme un maître historique, Hugo Pratt, dont, outre l'encre, un important et inédit sélection des précieux cellulos originaux peints à la main réalisés en 1977 pour l'émission "Supergulp" de Rai Due.

Ph: Hugo Pratt, le Corto Maltese et le Baron Rouge, 1977, cel original.

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