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DU BLOG D'ALESSANDRO FUGNOLI – Noël russe, nouvel an grec : la géopolitique pèse sur les marchés

DU BLOG « ROUGE ET NOIR » D'ALESSANDRO FUGNOLI, stratège de Kairos – Ce qui se cache vraiment derrière le choc pétrolier : opportunités américaines, panique saoudienne, défaite russe – Ce sera un Noël festif pour les marchés mais ensuite il y aura l'inconnue grecque de 29 – Pendant ce temps, le Qe approche : d'abord pour les obligations d'entreprises, puis pour les obligations d'État

DU BLOG D'ALESSANDRO FUGNOLI – Noël russe, nouvel an grec : la géopolitique pèse sur les marchés

C'est peut-être comme ça que ça s'est passé. Le pétrole a longtemps été structurellement faible. Il s'élevait à 100 dollars car le marché au comptant, celui des transactions physiques pour livraison immédiate, était toujours en équilibre. Il n'y avait pas et il n'y a toujours pas de quantité significative d'invendus. Autrement dit, il n'y a pas eu d'accumulation anormale de pétrole brut dans les entrepôts de Singapour, Rotterdam ou Houston. Ce qu'il y avait là, et maintenant il y en a un peu moins, c'était une quantité exceptionnellement importante de pétrole qui devait arriver au cours des prochains mois et années. Le pétrole de schiste américain et canadien ne cesse de s'accélérer, le Kurdistan est devenu maître de ses ressources, la Libye recommence à produire, l'Irak flotte sur le pétrole brut (malgré Daech, qui de toute façon se finance avec le pétrole des zones contrôlées et produit donc autant comme il peut). Un peu plus loin, pétrole et gaz en eaux profondes du golfe de Guinée et au large du Brésil et de la côte est-africaine, un potentiel de production très important. Et puis le Mexique qui rouvre aux particuliers et est prêt à augmenter sa production. Et l'Argentine. Et l'Iran est à un pas de la levée des sanctions.

Et, en arrière-plan, l'Arctique russe et le Groenland. Et à cela s'ajoute la concurrence croissante du charbon, si abondant que de nombreux pays, dont l'Amérique, boycottent sa croissance par tous les moyens. Celui du gaz naturel, de plus en plus disponible non seulement aux États-Unis mais aussi en Russie et en Australie. Celui des énergies renouvelables, idéologiquement passé de mode mais toujours en expansion. Et même celui du nucléaire à neuf vies, qui connaît un renouveau fracassant au Japon et en plein essor en Chine, en Inde et même en Arabie saoudite. Les théoriciens du pic pétrolier, qui ont connu leur dernier moment de gloire en 2008, avaient raison dans l'année dans leur prédiction d'une crise énergétique imminente et fatale pour notre civilisation. Ils étaient probablement au mauvais siècle. Sans parler de la question. Toujours en croissance dans les pays émergents, certes, mais stabilisée et en décroissance structurelle en Europe et en Amérique. Mieux vaut agir maintenant, a dû penser l'Arabie saoudite. Mieux vaut baisser les prix maintenant, avant qu'il ne soit trop tard. Mieux vaut convaincre tout le monde qu'une grande partie des investissements prévus dans l'énergie pour les prochaines années s'avéreront infructueux ou en tout cas non rentables. Réduisez vos horaires pendant que vous le pouvez. Liquidez vos entreprises qui extraient du gaz ou du pétrole, restituez le capital aux actionnaires ou entrez dans d'autres entreprises. Ce choc, initialement accueilli avec incrédulité et condescendance par de nombreux producteurs, a dû être violent et devra se prolonger pour être convaincant.

Tant qu'il y a, et qu'il y a encore, l'idée que les prix du pétrole brut se redresseront bientôt, personne n'annulera ses plans (et la reprise des prix ne sera que temporaire). Il y avait aussi des considérations stratégiques de nature géopolitique qui ont accéléré la décision saoudienne. La maison des Saoud est consciente de sa fragilité et vit dans la peur constante d'être chassée du pouvoir par un nassériste, qaïdiste ou militaire lié aux Frères musulmans ou à Daech. Il craint également les révoltes provoquées par l'Iran de ses citoyens chiites. Le chaos yéménite est d'ailleurs un avertissement constant pour Riyad. L'idée d'une Amérique trop autosuffisante en énergie et donc de plus en plus indifférente au sort du Moyen-Orient (et toujours plus proche de l'Iran) précisément au moment où ISIS consolide son pouvoir et envisage de l'étendre vers le sud est encore plus inquiétant que la faiblesse structurelle du pétrole brut. Vus de la Maison Blanche, la panique saoudienne et l'effondrement du pétrole brut étaient vus comme une opportunité à exploiter. D'un côté, la possibilité d'infliger un coup très dur à la Russie, de garder définitivement l'Ukraine, d'éliminer le chavisme du Venezuela et de l'Amérique latine, d'assouplir davantage l'Iran, de s'affirmer comme une hyperpuissance, de terminer la présidence Obama avec le pétrole à moitié prix et une reprise de la consommation et de la confiance.

D'autre part, comme prix à payer, un ralentissement de l'expansion de l'extraction de pétrole et de gaz non conventionnels (et un autre coup dur pour le charbon) aux États-Unis. Un ralentissement qui ne touche que les États républicains et profite, avec du mazout bon marché, surtout aux États démocratiques. Cependant, ce ralentissement ne compromet pas l'expansion irrésistible du secteur énergétique américain. La Russie est la grande victime de ce qui se passe. L'Amérique, ces derniers jours, a caressé l'idée de faire sauter Poutine et de ramener la Russie à l'époque d'Eltsine, alors qu'elle était inoffensive et en faillite. Poutine a agi de manière rationnelle, reculant considérablement mais traçant une ligne à ne pas franchir. Il a discrètement gelé la situation militaire en Ukraine et repoussé les forces pro-russes. Sur le plan le plus important, le politique, il a essayé de présenter la Russie non pas comme un antagoniste de l'Occident mais comme un médiateur. Nous ne voulons pas, a dit Lavrov à Kerry, être nécessairement un allié de la Syrie, de l'Iran, du Hezbollah et du Venezuela, nous voulons juste être un médiateur entre eux et les États-Unis.

Nous nous proposons également dans ce rôle en Ukraine et, après la Crimée, nous ne voulons rien annexer. Nous demandons seulement que l'OTAN n'entre pas dans le pays et une certaine autonomie pour les russophones. Comme par magie, la pression occidentale s'est arrêtée. La campagne sur le défaut imminent de la Russie et la défense désespérée et contre-productive du rouble a cessé. Poutine panse ses plaies mais est toujours debout. Pour l'Occident, pousser la Russie à bout aurait signifié une onde de choc en retour de véritable défaut russe et de récession européenne. Pire encore, Poutine aurait pu être remplacé par un nationaliste ou un militaire prêt à exhiber son arsenal nucléaire en désespoir de cause. Un Noël tranquille, donc, avec le réconfort supplémentaire, pour les marchés, d'un communiqué drôle et embrouillé du FOMC qui s'efforce de ne rien dire de nouveau mais le fait sur un ton bienveillant et réfléchi. Nous garderons les mains libres, c'est le but, mais sachez que nous sommes toujours avec vous. On commençait à s'inquiéter pour la Grèce, mais l'arrivée de la crise russe a réduit, aux yeux des marchés, le flop annoncé de Samaras au premier vote pour le président de la république. Pour l'instant, c'est la fête. Le 29 décembre, jour du dernier et décisif vote grec, semble bien loin.

L'Europe prend le terrain avec une grande lourdeur pour effrayer les électeurs grecs. Nous ne vous accorderons aucune remise, nous laisserons vos banques faire faillite, vous perdrez vos dépôts comme cela s'est produit à Chypre. Et vous serez aussi isolé, personne ne vous pleurera, l'Italie et la France ne seront pas d'accord avec Tsipras. L'Europe a renoncé à être aimée et vise à être crainte, ce qui fonctionne souvent mieux. Sur le Qe européen, l'opposition de Weidmann se fâche de plus en plus et frôle l'hystérie. Il ne faut pas le prendre au pied de la lettre, mais il rend plus probable, en janvier, qu'un QE composé d'obligations d'entreprises reporte la partie sur les obligations d'État à mars. 2015 s'annonce mouvementée, mais pas au point de gâcher davantage l'ambiance de fin d'année.

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