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La BCE est "prudente sur les taux mais contre l'inflation et la récession, nous avons aussi besoin d'une politique budgétaire européenne": Messori s'exprime

ENTRETIEN AVEC MARCELLO MESSORI, économiste et professeur à Luiss - "Si vous exagérez sur les taux, le risque de se retrouver en récession est élevé" - L'Europe a une "grande opportunité de faire un saut qualitatif mais l'Italie ne peut pas manquer ses objectifs del Pnrr" – Les propositions de l'UE sur le pacte budgétaire "sont un point de départ prometteur"

La BCE est "prudente sur les taux mais contre l'inflation et la récession, nous avons aussi besoin d'une politique budgétaire européenne": Messori s'exprime

« Si nous devons lutter contre'inflation avec seulement le levier du la politique monétaire le risque de dépassement de la rigueur est très élevé. En effet, dans le cas d'une inflation du côté de l'offre, comme celle européenne issue du choc énergétique et de l'interruption des sous-chaînes d'approvisionnement suite à la pandémie de Covid 19, la politique monétaire devrait à elle seule écraser fortement la demande pour ramener les prix retour vers le niveau traditionnel des 2%. Et cela implique la risque de se retrouver en récession ». 

Marcellus Messori, professeur à Luiss et depuis de nombreuses années animateur du centre des politiques européennes, avoue qu'en un moment aussi incertain et avec une visibilité très modeste sur l'évolution possible, il n'est certainement pas facile pour les banquiers centraux de prendre des décisions. Pour cela le Directoire de la BCE il avait décidé de ne pas donner de lignes directrices prospectives sur sa politique, mais de prendre des décisions de temps à autre sur la base des données actuelles et des prévisions les plus fiables. Et au lieu de cela, de nombreux gouverneurs, en particulier ceux des pays dits frugaux, ont fait des déclarations pour plaider un durcissement de la politique monétaire afin d'éviter le déclenchement d'une course dangereuse entre les salaires et les prix, comme cela s'est produit dans les années 80 désormais lointaines.  

Ignazio Visco, gouverneur de la Banque d'Italie a a réagi avec une pointe d'amertume, rappelant qu'il avait été convenu d'agir ponctuellement sans donner aux opérateurs d'indications prospectives sur les futures décisions de la BCE. De plus, selon Visco, la situation d'incertitude est telle que la banque centrale doit agir avec prudence, en évitant de favoriser les pressions salariales et les profits excédentaires (qui ne se voient pourtant pas pour le moment) sans tomber dans le risque d'une véritable récession. 

« Je ne suis pas scandalisé que dans une situation aussi difficile des conflits éclatent entre banquiers et qu'une discussion s'enclenche. Il vaudrait mieux que cela se passe de manière moins désordonnée, avec le risque d'accroître encore l'incertitude des marchés. Mais pour comprendre le sens de cette discussion, il faut remonter aux racines de l'inflation européenne actuelle née d'un choc sur l'énergie et les autres matières premières, mais qui montre aujourd'hui des signes de ralentissement même si une inflation sous-jacente persiste qui élève craintes d'une persistance de la hausse des prix pour les mois à venir. Nous devons nous inquiéter, et il convient dans ce contexte de procéder avec prudence dans les décisions de politique monétaire, en évitant le laxisme mais aussi les restrictions excessives ».

Si tout le poids de l'ajustement repose sur les épaules de la politique monétaire, on risque d'avoir des effets indésirables soit parce qu'ils ne sont pas très efficaces, soit parce qu'ils sont trop efficaces. Il serait donc bon de combiner l'action de la BCE avec une politique budgétaire capable d'agir sur le dépassement des goulots d'étranglement de l'offre, tout en contrôlant la demande pour éviter que les prix continuent de tourner. Est-il possible d'activer également ce second levier ? 

"Ce serait souhaitable, et une telle politique budgétaire que nous pourrions définir comme 'sélectivement expansionniste' pourrait être mise en œuvre avant tout au niveau européen, c'est-à-dire en maintenant l'équilibre des budgets des États individuels, en confiant plutôt à Bruxelles une expansion des dépenses d'investissement sur les biens publics européens. Bien sûr, tout ne peut pas être fait ensemble. Cependant, des mesures progressives pourraient être prises, par exemple en augmentant les dépenses européennes de sécurité et de défense, pour que les réseaux d'infrastructures, y compris immatériels, soient intégrés. On parle maintenant de politique industrielle aussi pour répondre aux défis des États-Unis : eh bien, il vaudrait mieux que chaque pays ne se leurre pas qu'il puisse faire cavalier seul. Après tout, nous avons vu ce qui s'est passé l'été dernier lorsque chaque pays s'est lancé seul pour essayer de remplacer le gaz russe. Les prix ont monté en flèche précisément parce qu'il y a eu un manque de coordination communautaire ».

 En bref, chaque pays devrait réduire les dépenses courantes (primes et dons divers), soutenir les investissements internes et donner son accord pour ceux sur les biens publics européens. Mais pour atteindre un tel objectif il me semble qu'il y a beaucoup d'obstacles à surmonter. La politique industrielle européenne doit être clarifiée, il y a les règles du nouveau pacte fiscal à approuver avant la fin de l'année. Bref, il y a un labyrinthe de problèmes qui rend difficile non seulement l'opinion publique, mais aussi les décideurs politiques qui doivent avoir la lucidité et la force de traiter ensemble sur plusieurs tables étroitement liées. 

« En fait, nous sommes face à une grande opportunité de faire un véritable bond en avant dans la qualité des institutions européennes. Prenons par exemple le projet Next Generation EU dont est né le Pnrr. La méthode utilisée dans cette affaire a maintenant été proposée à nouveau par la Commission pour le renouvellement du pacte budgétaire. Il s'ensuit que si le Pnrr n'atteint pas les objectifs fixés, toute la crédibilité de cette méthode sera perdue. Avant tout, l'Italie, qui est le plus grand bénéficiaire des fonds européens, devrait tout mettre en œuvre pour atteindre les objectifs convenus, précisément parce qu'elle est surveillée attentivement par tous les autres. Nous sommes le laboratoire d'une nouvelle augmentation future de la capacité fiscale de l'UE ».

Mais en quoi les nouvelles règles du pacte budgétaire sont-elles liées à ce qui se passe avec le Pnrr ? Et avant cela, peut-on juger positivement les propositions avancées par la Commission ? N'y a-t-il pas un risque que le classement sur la soutenabilité de la dette nuise à des pays très endettés comme l'Italie ? 

« Les propositions de la Commission sont un point de départ prometteur. Je ne vois pas de dangers particuliers dans la classification des dettes des différents pays. Et après tout, les opérateurs peuvent déjà voir les classements du ratio dette/PIB aujourd'hui et les écarts sont là pour indiquer qu'une différence de risque est déjà prise en compte. Bien sûr, le fait que Bruxelles certifie un niveau de risque élevé peut être négatif. Tout dépend de son utilisation et surtout des plans d'ajustement que chaque pays doit convenir avec la Commission et de sa crédibilité. Dans l'ensemble, la proposition qui sera discutée lors du prochain Ecofin contient des acquisitions fondamentales. La première est que tout le monde a pris acte que le remboursement de la dette ne peut se faire uniquement en réduisant le numérateur, mais qu'il faut se concentrer sur la croissance du dénominateur, c'est-à-dire du PIB. Sans croissance, il n'y a aucun moyen de réduire la dette. Et pour réaliser la croissance en Europe, une plus grande capacité budgétaire européenne est nécessaire pour investir dans les biens communs. Dans les mois à venir, nous devrons faire ensemble beaucoup de choses fondamentales pour l'avenir de notre continent. Ce sera difficile, mais, comme je l'ai dit, c'est aussi une grande opportunité ».

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