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Abravanel : « Italie, grandis ou sors !. Méritocratie et règles pour donner un avenir aux jeunes »

L'INTRODUCTION DU NOUVEL ESSAI DE ROGER ABRAVANEL écrit avec Luca D'Agnese et publié par Garzanti – Un ensemble de "faux mythes" a freiné la croissance de l'Italie pendant plus de vingt ans : de la relance du "Made in Italy" qui doit changer à "Créé en Italie" l'idée (très fausse) de "Small is beautiful" - L'importance d'un nouveau leadership.

Abravanel : « Italie, grandis ou sors !. Méritocratie et règles pour donner un avenir aux jeunes »

Nous sommes deux anciens consultants de McKinsey, où la devise « up or out » avait un sens précis pendant près de cinquante ans : soit le consultant continuait à développer ses compétences en leadership, soit il devait quitter McKinsey et se construire une nouvelle carrière (souvent très prestigieuse) dans une autre organisation. L'idée d'appliquer la même devise à l'économie italienne nous est venue fin 2011, lorsque la crise de la dette a fait redécouvrir aux Italiens la vulnérabilité de notre économie et le problème de la croissance. Plusieurs lecteurs nous ont dit que nous avions déjà abordé ces problèmes dans Méritocratie et règles, et ils nous ont suggéré de reprendre ces idées pour en faire une véritable "manifeste pour la croissance".

Aujourd'hui, le gouvernement Monti a également fait de la croissance une priorité, mais l'ampleur de la transformation culturelle nécessaire n'est pas encore claire pour les Italiens et ils ont donc du mal à comprendre si les réformes lancées atteindront leur objectif. Le problème - Monti en est bien conscient et l'a dit clairement - est que la croissance en Italie est bloquée depuis des années et qu'il faudra du temps pour briser les incrustations, notamment culturelles, qui bloquent le développement de notre économie. Italie, grandis ou sors ! vise principalement à dénoncer questi les préjugés, et veut expliquer ce que signifie vraiment adopter, même en Italie, la "culture de la croissance", qui est basé sur un une compétition qui respecte les règles, qui génère méritocratie et excellence et permet donc de valoriser le capital humain, véritable moteur de la croissance dans une société post-industrielle.

Nous croyons que cette réflexion est utile pour plusieurs raisons. La première est que nous, Italiens, n'avons pas encore compris la véritable nature du malaise économique qui afflige notre pays aujourd'hui. De nombreux Italiens croire en une série de "faux mythes" qui voudraient expliquer les causes de la crise et proposer les bonnes recettes pour la surmonter.

Le premier mythe concerne lal'origine des problèmes de l'Italie: pour beaucoup, la faute en serait à la crise internationale, à la mondialisation, à la finance anglo-saxonne ou à quelque autre "méchant loup" qui préfèrent accuser plutôt que voir les maux de notre maison. Quiconque soutient cette position n'a pas compris (ou fait semblant de ne pas comprendre) que notre crise n'est pas du tout causée par la crise mondiale de la dette, mais par l'incapacité de notre économie à croître, une impasse qui dure depuis plus de vingt ans. La crise financière mondiale qui a éclaté en 2008, désormais lointain, n'a fait que faire découvrir au reste du monde que l'appauvrissement progressif des Italiens risquait de devenir un problème pour eux aussi. Mais l'importance de la croissance, non seulement sur les marchés financiers mais dans la vie de tous les jours, échappe souvent aux Italiens. Pour cette raison, d'autres auteurs et d'autres voies de sortie sont recherchés. Mais il n'y en a pas : soit tu grandis, soit tu pars.

Il deuxième faux mythe est que l'Italie peut retrouver la prospérité et surmonter ses problèmes actuels en remontant les aiguilles de l'horloge et redécouvrir les racines de son développement au cours des dernières décennies: la valeur du "small is beautiful", la force du "territoire", la solidarité familiale et corporative comme filet de sécurité en lieu et place de celui créé par l'Etat ou les ressources individuelles. La réalité est très différente : l'économie mondiale, avec la mondialisation, et la société italienne, avec le vieillissement de la population, ont changé de manière irréversible. L'Italie n'a pas su adapter son modèle économique, mais elle doit apprendre à le faire. Pourquoi notre économie ne progresse-t-elle pas ? Non pas parce que les entreprises ne naissent pas, mais parce qu'elles ne grandissent pas. Et ils ne peuvent pas le faire car ils ont été étranglés par la devise "small is beautiful", qui les a empêchés de se transformer. Et la nécessité de « protéger nos PME mythiques » ? Nos PME sont des réalités qui souvent, malheureusement, ne survivent que parce qu'elles échappent à l'impôt et paient peu leurs travailleurs. Les meilleurs doivent plutôt être aidés à grandir, les moins performants doivent fermer ou être absorbés. Un autre faux mythe dit que pour grandir il faut "copier le modèle allemand". Mais aujourd'hui ce projet ne s'applique plus, notre modèle économique « manufacturier » est très éloigné de celui de l'Allemagne, composé d'entreprises plus grandes, plus technologiques et mieux organisées, mais surtout parce que désormais les « usines » ne constituent plus qu'une petite partie d'une économie moderne.

Mais il y a plusieurs autres faux mythes circulant dans notre pays. Par exemple le la relance tant annoncée du « made in Italy », qui pourtant a fait son temps et doit aujourd'hui remplacé par « créé en Italie», conçu en Italie. Et la nécessité de supprimer l'article 18 pour permettre aux usines en crise de tirer librement ? Le mal de l'article 18 n'est certainement pas qu'il empêche les usines en crise de licencier (ce qu'ils peuvent faire plus facilement qu'en France), mais pour limiter la méritocratie : d'une part, il empêche les grandes entreprises de licencier un travailleur absent et d'en embaucher un bon qui veut travailler, d'autre part, il a créé un apartheid injuste qui génère de l'inefficacité parmi des millions de travailleurs surprotégés et des millions de travailleurs précaires sans aucune protection.

Un autre mythe dangereux prétend que la concurrence, le respect des règles et la méritocratie sont des valeurs "anglo-saxonnes", dont notre économie ne pourra jamais s'inspirer car elles sont étrangères à l'ADN des Italiens. Quiconque croit à ce "mythe" justifie l'évasion fiscale, le travail au noir, les privilèges des nombreuses petites entreprises, le familisme, les recommandations... Et ils sont convaincus qu'essayer de se donner les bonnes règles équivaut à un effort de Sisyphe : mieux vaut garder les règles que nous avons, peut-être en fermant les yeux sur qui est intelligent. En fait l'ADN des italiens est bien : quand on se retrouve dans un environnement où les règles fonctionnent et sont respectées, on les respecte aussi. Quand on travaille à l'étranger, par exemple. Quand on fait carrière dans de grandes multinationales, en acceptant le défi de la méritocratie. Lorsque nous entrons sur les marchés internationaux avec nos entreprises, nous acceptons et remportons souvent le défi de la concurrence. Le problème est en Italie. Parce que beaucoup d'Italiens ne croient pas que les règles et la méritocratie puissent fonctionner ici aussi. Ils n'ont pas compris que les règles doivent être respectées non pas pour observer un principe éthique, mais parce que c'est commode. La vraie carence éthique de notre économie, ce ne sont pas les managers qui gagnent trop (même si c'est parfois vrai, vu les résultats), ce sont les entreprises qui survivent grâce au non déclaré et au "noir".

Mais il y a une autre raison pour laquelle une réflexion sur la croissance est importante aujourd'hui : nous devons articuler une vision à long terme de la croissance de l'Italie. Ce qui manque aujourd'hui. Cette vision de notre avenir ne se compose pas seulement de pourcentages du PIB et de dispositions législatives : elle doit devenir une histoire du pays que nous voulons créer dans les années à venir. Elle doit apparaître claire et convaincante. Il devrait idéalement générer un élan émotionnel chez les Italiens, un désir de changement et d'action. Ce que le gouvernement Monti peut faire en quelques mois pour stimuler la croissance (en supposant qu'il fasse tout ce qu'il faut) a une limite, qui apparaît de plus en plus évidente. Le risque est qu'à long terme, les Italiens, qui ignorent la transformation d'époque nécessaire, ne voient que les coûts des initiatives lancées par le gouvernement, étant donné qu'ils ne comprennent pas les causes profondes du manque de croissance. Et surtout ils estiment que le danger de devenir une « nouvelle Grèce » est définitivement écarté. Et à ce moment-là, la politique, que Monti soutient aujourd'hui, reviendra au populisme et recommencera à vendre des rêves et des promesses irréalisables.

Le thème central de ce livre sera donc comment parvenir à une transformation historique de notre économie. Mais il en faudra un nouvelle direction: pour atteindre cet objectif, cependant, il ne suffit certainement pas de changer la loi électorale ou de fonder un nouveau parti qui soit une « expression de la société civile » : la "société civile" a vraiment besoin d'être changée. Nous avons besoin d'un nouveau capitalisme, avec une nouvelle génération d'entrepreneurs. Besoin d'un nouvelle génération de fonctionnaires. Avant tout, nous avons besoin de jeunes Italiens qui réalisent que le pays ne changera pas s'ils ne changent pas eux aussi et ne sont plus actifs. C'est précisément aux jeunes Italiens que s'adresse ce livre. Pour les impliquer. Pour leur expliquer ce qui se passe réellement dans leur pays et en quoi cela est différent de ce qu'ils entendent tous les jours. Pour les convaincre que la transformation, bien qu'époque, est vraiment possible. Et de leur donner des suggestions concrètes sur ce qu'ils devraient faire pour grandir et ne pas "sortir".

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