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Trump a déjà gagné même s'il perd la Maison Blanche

Même si Trump devait quitter la Maison Blanche, il n'aurait pas vraiment été vaincu car la saison de Trump reste l'incarnation du schéma populiste qui anime les États-Unis et dont ce n'est pas l'actuel président qui a créé

Trump a déjà gagné même s'il perd la Maison Blanche

Les chiffres disent que Joe Biden pourrait encore s'en sortir à la pause des écouteurs, à midi le 4 novembre heure continentale européenne. Mais les chiffres eux-mêmes disent que Donald Trump pourrait en effet perdre, mais dans une mesure très étroite et donc pouvoir toujours dire que la moitié de l'Amérique était avec lui jusqu'à la fin. Et étant Trump, il dira, il l'a déjà dit, que le vote a été, aurait été, volé, menti de manière flagrante. Le vote par correspondance est contrôlé, fiable et les tentatives de fraude ont toujours été d'environ 0,00007 %. Toutefois Trump divisera encore plus le pays en deux, s'il gagne parce qu'il a gagné et s'il perd parce qu'il a perdu.   

Avec des États déjà attribués, de manière informelle mais en toute crédibilité, à un vainqueur, Biden a 4 votes de collège électoral à midi le 225 novembre (celui que le président fait) et Trump 213, et 270 sont nécessaires pour gagner. Il y a sept états dans la balance, Géorgie, Caroline du Nord, Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin, Nevada et Arizona ; dans deux, la Pennsylvanie et la Caroline du Nord, les règles exigent d'attendre les 6 et 12 novembre pour examiner les bulletins de vote par correspondance qui arrivent en retard mais qui sont toujours envoyés avant le 3 novembre. À ce stade, ils peuvent être aperçus différents scénarios et faire divers calculs chances, et ceux-ci penchent peut-être plus en faveur de Trump que de Biden, mais le plus sérieux est d'attendre. La Pennsylvanie et la Caroline du Nord seront encore imputables avant les délais légaux, qu'il faut attendre pour les annonces officielles. 

Maintenant, la première conclusion politique à tirer est que même s'il quitte la Maison Blanche Trump n'a pas vraiment été vaincu. Ce vote confirme que, malgré quatre ans, la moitié de l'Amérique a vécu dans l'inquiétude et l'horreur, malgré le semi-déni de santé sur le Covid, malgré la stratégie évidente de diviser le pays et de ne pas l'unir sur les questions raciales et la grande culture civique, et malgré beaucoup plus, y compris l'effondrement de la position morale et du leadership de l'Amérique dans le monde, Donald Trump est toujours au sommet de la politique américaine et peut légitimement prétendre être sa figure la plus représentative entre la deuxième et la troisième décennie du siècle. L'électorat de Trump se fiche de se tenir debout, en effet comme leur idole ils disent qu'avoir moins c'est bien parce que ça redonne carte blanche à leur pays qui fait donc plus peur et au final aura plus… de se tenir debout.

De notre point de vue d'Européens, faites plus attention qu'à la politique intérieure américaine les conséquences sur sa politique étrangère, c'est malheureux et pour une raison très simple. Un siècle après les premiers pas américains décisifs vers le leadership mondial, pas franchis pendant et après la Première Guerre mondiale et conclus après la Seconde, les électeurs américains ont récompensé, et ce chiffre demeure même si Trump devait se voir refuser un second mandat, l'homme qui répudie la politique d'une dizaine de prédécesseurs avec twitter et initiatives présidentielles, et sans en définir une nouvelle, sinon le bouleversement de la "guerre en cours". Tout ce que Trump a fait n'est pas mal, mais il ne savait certainement pas ou ne voulait pas définir de nouvelles logiques et procédures.

L'Amérique s'est jetée dans le rôle principal, d'abord uniquement financièrement, puis politiquement, sapant la Grande-Bretagne, pour mieux servir ses intérêts et faire de New York la capitale financière du monde, il y a déjà un siècle. Trump jette tout par-dessus bord, pratique une "guerre de course" qui il ne reconnaît pas les alliés ou les choisit à géométrie très variable et fait valoir que cela servira mieux les intérêts américains; il n'a pas pu dire un mot sur comment et avec quels hommes la finance américaine créait déjà son pouvoir au temps de ses arrière-grands-parents, mais il pontifie en grand. Et, c'est le but, pas moins de 100 à 120 millions d'Américains le croient.

Parmi nous il y a ceux qui s'appuient, pour interpréter l'Amérique d'aujourd'hui, sur des schémas marxistes de lutte des classes pour lesquels Trump représenterait non pas les pauvres mais les appauvris et les autres seraient l'élite pseudo-intellectuelle qui méprise les appauvris. Mais il n'est pas nécessaire de déranger Marx. Les États-Unis ont suivi dans les rapports riches/pauvres, centre/périphérie, centralisme administratif contre autonomies locales, logiques et schémas panaméricains fondés sur le rapport difficile, toujours difficile sauf quelques saisons, entre homme ordinaire et des élites, au nom d'un populisme robuste, moins improvisé que celui de l'Europe, mais tout aussi radical. La saison Trump est la dernière incarnation de ce schéma populiste. "Ils t'ont ruiné, ils te méprisent et je te sauverai et te défendrai". Tel est le message et celui-ci, confirmé par la longue séance du 3 novembre, est passé. 

Le message de Biden était "On peut faire bien mieux que ce qu'on a sous les yeux, on n'est pas comme ça", et il n'était qu'une heure et demie. L'Amérique d'aujourd'hui, 2016 n'a pas été un accident, c'est ce que Trump s'est retrouvé déjà emballé. Il n'a pas créé, il a juste exploité une lente érosion du rôle du Congrès, où il n'y a plus de personnalités fortes et de bons connaisseurs de la politique étrangère ; il a exploité la marginalisation de la haute bureaucratie, notamment du Département d'État, au profit de la Maison Blanche, le Conseil de sécurité nationale étant passé de 50 personnes sous Bush père à 400 sous Obama, au grand désavantage des diplomates ; il a exploité la polarisation politique qui fait taire tout le monde critiques dans les rangs. Mais tout cela était déjà avant Trump. Trump est le produit de cette Amérique où un groupe de jeunes députés républicains nouvellement élus en 1994, la saison du pyrotechnicien Newton Gingrich qui est aujourd'hui un grand partisan de Donald, disaient ne pas avoir de passeport et s'en vantaient comme d'un véritable américanisme. Et nous ne nous soucions pas du monde, comme on disait autrefois en Italie. C'est le Trumpisme. Plus encore que des souhaits de victoire, Joe Biden aurait besoin de souhaits pour pouvoir faire quelque chose de bien si la victoire devait, in extremis, être la sienne.

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