Il a fallu une averse pour donner un peu de frissons à un Tour jusque-là trop chloroformé par la domination sobre mais incontestée de Chris Froome, même si au bout du compte où il risquait de compromettre sa primauté par malchance, le Britannique se retrouve avec un avantage accru sur le second. Mais au moins l'étape d'hier n'était pas du tout soporifique. Des éclairs et une pluie battante transforment l'asphalte de la descente de la Côte de Domancy – la même montée du contre-la-montre de jeudi – en une savonnette insidieuse qui en fait tomber beaucoup. A 10 km de l'arrivée à Saint-Gervais, même le maillot jaune s'envole. Un dérapage au milieu de la route, grâce à la peinture blanche sur la bande médiane, envoie Froome au sol et Nibali derrière lui : c'est le moment qui pourrait rouvrir le Tour, mais Froome - mal de dos, vélo cassé, maillot jaune déchiré - parvient à se remettre en selle immédiatement grâce à l'aide de Geraint Thomas qui lui tend le vélo. Nibali s'en tire également sans dommage majeur. Mais si le Shark à partir de ce moment pensait plus aux JO qu'au Tour et se laissait parader en terminant en queue de course, Froome, avec le soutien de ses compagnons, notamment Wouters Poels, se lançait furieusement à la poursuite du premier pour limiter la casse. Le Tour vit des moments de haute tension jusque-là inconnus. La bagarre éclate et ce n'est certainement pas le moment de jouer franc jeu. C'est une journée où les chutes sont innombrables avec Tom Dumoulin et Navarro déjà contraints à l'abandon. Devant, en poussant fort, il y avait presque tous les hommes du classement, les plus dangereux pour le maillot jaune. La journée d'évasion animée par Rafa Majka et Thomas De Gendt, les duellistes pour la chemise à pois fermement sur les épaules du Tinkoff Pole, était désormais terminée. Le dernier survivant à être capturé était Rui Costa. Le Portugais, ancien champion du monde de Florence, a été le premier à affronter Romain Bardet qui s'apprête à réaliser l'exploit que la France cycliste attendait depuis le début de la Grande Boucle : le premier triomphe transalpin sur le Tour.
Pas seulement : avec Bardet, qui sur les pentes du Mont Blanc vers Saint-Gervais résiste bien à la chasse menée par un vivier de VIP comme Rodriguez - enfin régénéré - Valverde, Meintjes, Quintana et Aru, la France peut revoir son meilleur cavalier du moment dans l'aire du podium, voire à la deuxième place, profitant du recul d'Adam Yates et de la mauvaise journée de Bauke Mollema. Mais Froome n'est pas loin : bien qu'il soit meurtri, il arrive aussi devant Porte, neuvième à 36'' du vainqueur. Dans la malchance, le Britannique s'estime chanceux lorsqu'il résume la journée la plus difficile de son Tour et voit que la chute ne lui a coûté qu'une poignée de secondes ce qui n'affecte pas son bilan : 13'' contre Rodriguez, Valverde et Mentjes ; 10” de Quintana, qui semblait un peu moins chargé que les jours précédents ; seulement 8" par rapport à Aru, un très petit trésor pour le Sarde si on le compare au grand travail et à la dépense d'énergie prodigués par Astana pendant l'étape. Aujourd'hui c'est la dernière étape alpine à Morzine avec le meurtrier Col de Joux de Plane, hors catégorie à une dizaine de kms de l'arrivée : la dernière chance d'attaquer Froome qui, à deux jours de Paris, malgré une mauvaise journée, en raison de l'échec reproché à Mollema - qui chute à la 10e place à 7'42" - porte à 4'11" (il était de 3'59" sur Mollema à Me gève) l'avantage sur le second qu'est Bardet. Troisième - sans coup férir - est Nairo Quintana à 4'27'' suivi d'Adam Yates à 4'36''. Richie Porte est cinquième à 5'17'' tandis qu'Aru, malgré sa sixième place à exactement 6 minutes de Froome, a vu son écart sur le podium se creuser de quelques secondes, un point chaud du classement qui attend sa mise en place définitive depuis Megève-Morzine. Derrière, bien sûr, Froome.
