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Rome peut-elle être modernisée ou Fellini et Pirandello avaient-ils raison ?

Nous publions le premier chapitre du nouveau livre de l'économiste Alfredo Macchiati "2021 : Miracle in Rome", publié par goWare, qui pose le problème fondamental pour l'avenir de la capitale et qui est de savoir si Rome, malgré la mauvaise gestion de la Campidoglio ces dernières années, qu'il soit encore réformable ou qu'il soit fatalement destiné à un déclin inexorable comme l'ont affirmé des voix faisant autorité - Dans la vision de l'auteur, l'optimisme de la volonté prévaut, même si le manque de planification et de vision pour l'avenir continue à étouffer Rome, comme cela ressort également de la campagne électorale en cours

Rome peut-elle être modernisée ou Fellini et Pirandello avaient-ils raison ?

Mes penchants envers Rome ne sont pas polémiques, je ne ressens ni amertume ni dédain, car Rome est un cirque capable où tout entre, c'est un magma flottant où tout s'absout et tout se dissout, une bulle qui explose, une ville aux dimensions de un cynisme, une sagesse, une indifférence qui ne changent jamais et ramènent aux mêmes erreurs, une métropole qui permet de rester enfantin avec le consentement de l'Église. Il a fallu 261 papes pour le faire. Comment peut-on espérer le changer en quelques siècles ?. Federico Fellini, en hausse L'Espresso du 28 mars 1971

La discussion sur le sort de la capitale, momentanément endormie face à la tragédie du Covid, se relance en vue des élections de l'automne. Dans l'opinion publique, il semble y avoir une prise de conscience généralisée de l'état pitoyable de Rome. Jusqu'en 2008, avec la croissance économique, les déséquilibres étaient moins perceptibles mais, avec la crise, les ressources publiques qui soutenaient la ville jusqu'alors ont fait défaut, la croissance s'est arrêtée et les couches les plus basses de la population ont été les plus durement touchées. Le risque désormais tangible est que les inégalités, la décroissance, la mauvaise administration polluent l'âme profonde de Rome, son « entité unique et non reproductible », son image, ce que Walter Benjamin appelait « l'aura » d'une ville. Et il semble y avoir consensus sur l'idée qu'au-delà des problèmes de gestion actuels (transports, ramassage des déchets, décorum urbain), certes aigus en raison de la dégradation qui les caractérise et ponctuellement constatés par les avis des citoyens, la crise de la ville est aussi la résultat du manque de planification et de vision sur l'avenir de Rome. Une planification et une vision chroniquement absentes depuis un certain temps.

La contradiction entre sa beauté et le rôle de capitale et les graves difficultés que connaît depuis longtemps la ville, véritable "maladie romaine", ont longtemps attiré écrivains, réalisateurs, universitaires, urbanistes, hommes politiques qui ont raconté et dénoncé le désordre chaotique et la spéculation débridée, la paresse de sa population, son incapacité à représenter le pays. D'autres auteurs se sont aventurés dans un pars interprète et ils ont suggéré des thérapies. On pourrait dire que les livres sur Rome sont désormais devenus un genre littéraire.

Alors pourquoi une énième réflexion sur Rome ? La tentative, menée dans les pages de « 2021 : Miracle à Rome » en adoptant une coupe agile mais qui tient compte de la littérature très abondante sur la capitale, est de proposer une réflexion sur les raisons à long terme de la crise de la ville et sur quelques moyens possibles de le ramener à la croissance, comme on dit aujourd'hui, "de manière équitable et durable". La conviction est que le manque de modernisation et l'absence d'aménagement ne sont pas accidentels. Au contraire, pendant longtemps, Rome n'a pas semblé capable d'exprimer des forces capables de concevoir et de réaliser un projet de croissance durable et de développement urbain équilibré, un « bloc social » porteur d'une action modernisatrice. Dans un tel cadre, le gouvernement de la ville ne pouvait mettre en œuvre, à de rares exceptions près résultant de circonstances particulières de la politique nationale, que des « mauvaises politiques » ou en tout cas inadaptées à l'ampleur des problèmes.

Mais ce n'est pas seulement pour cette raison « structurelle » que l'on peut se demander s'il est réaliste de songer à remettre Rome sur la voie de la croissance et de la modernisation. Parfois le caractère historique de la ville est évoqué, si grandiose, qu'il générerait une sorte d'envoûtement qui la rendrait réfractaire à la modernité. C'est un fil rouge, que l'on pourrait définir comme un fataliste, qui a toujours suivi des études et des réflexions sur Rome. Et il n'y a pas de citations. De Henry Adams, un historien américain qui a visité la Ville éternelle juste avant Porta Pia : « Rome ne pouvait pas être introduite dans un schéma systématique d'évolution, ordonnée, bourgeoise, née à Boston. Aucune loi du progrès ne saurait leur être appliquée », à des auteurs italiens comme Pirandello quoi Le défunt Mattia Pascal fait exprimer à Anselmo Paleari ce fameux jugement, plusieurs fois cité, liquidant toute perspective possible de modernité pour la Capitale :

Et c'est en vain, croyez-moi, tout effort pour le faire revivre. Enfermée dans le rêve de son passé majestueux, elle ne veut plus rien savoir de cette vie mesquine qui s'obstine à grouiller autour d'elle. Quand une ville a eu une vie comme celle de Rome, avec des caractéristiques aussi marquées et particulières, elle ne peut pas devenir une ville moderne, c'est-à-dire une ville comme les autres. Rome se trouve là, avec son grand cœur brisé, derrière le Campidoglio.

Même la citation de Fellini rapportée dans l'exergue renvoie implicitement à cette vision et évoque la résistance de Rome à la modernité, son inébranlable éternité et donc l'impossibilité de la juger à l'aune de critères communs tels que l'efficacité ou le décorum. ET Mario Praz, dans son livre consacré à la Ville éternelle, observe comment Rome, « n'ayant pas été mithridatisée contre la vie moderne par une adaptation progressive, succombe ». Ferrarotti, qui a un jour dénoncé les conditions de vie dans les banlieues romaines avec son analyse, confie récemment que "ce n'est qu'à Rome que j'ai appris à me méfier de l'hyperactivisme, j'ai commencé à apprécier une indolence, qui n'est ni paresse ni paresse". UN fil rouge qui face à la crise de ces dernières années semble avoir repris des forces. Et ainsi "la diversité de l'expérience", "le sublime désastreux", "l'unicité" sont invoquées à l'appui de la thèse que Rome doit rester "sémantiquement éphémère", que ses problèmes ne peuvent être résolus, plutôt que la dégradation et les contrastes peuvent générer de l'imagination et donc l'innovation en design, au point de devenir presque un "moteur de développement".

Couverture d'ebook tachée

C'est une vision qui ne se retrouve pas dans les pages de ce livre.

Il ne fait aucun doute que Rome, pour le dire en termes sociologiques, n'a pas suivi régulièrement cette "voie temporelle et structurelle nécessaire pour acquérir les caractéristiques des sociétés modernes", qui sont celles du monde industrialisé occidental. Rome, si l'on regarde les critères normalement utilisés pour mesurer la qualité de vie, n'a pas réussi à devenir non seulement comme Paris ou Londres mais même pas comme Madrid. Son histoire semble l'éloigner d'un habitat de progrès économique et social. Mais ces résultats ils ne représentent pas un "destin inéluctable": elles trouvent plutôt leur fondement dans la structure économique et sociale de Rome et dans les choix opérés par les acteurs politiques. Bien sûr, cette interprétation structurelle du manque de modernisation, de l'impossibilité pour Rome de s'identifier à une culture entrepreneuriale, pose en tout cas la question des forces sur lesquelles s'appuyer pour un avenir meilleur pour la capitale. Et la réponse que propose le livre, c'est que pour concurrencer le nouveau siècle, reprendre le chemin de la transformation, réparer la fracture culturelle, économique, sociale entre le cœur historique de la ville et l'immense banlieue interminable, et mettre de la rationalisation, un rôle décisif devra être joué par les politiques publiques. Des politiques publiques qui devront enfin tenir compte du fait que « vous ne jouissez pas des sept ou soixante-dix-sept merveilles d'une ville, mais de la réponse qu'elle donne à votre question » (Calvino, Les villes invisibles).

Parfois, dans la discussion sur Rome, l'accent a été mis sur le contraste entre le manque de modernisation et le rôle de représentation du pays, sa capitale "must be". Ici s'ouvre une seconde perspective pour regarder la ville : sa relation avec le reste du pays, la possible spécificité des institutions romaines de l'économie et de la société par rapport aux autres grandes villes italiennes. Rome offre-t-elle vraiment une image déformée de l'Italie ? En réalité, il semble difficile de nier qu'un problème de modernisation se pose pour toute l'Italie qui, ce n'est pas un hasard, croît moins que le reste de l'Europe depuis plus de vingt ans. Un problème qui concerne la sphère publique – due aux institutions de contrôle envahissantes et à la fois faibles, due au dysfonctionnement des services, à la corruption des administrateurs, à une bureaucratie souvent hostile et inefficace – mais aussi la sphère privée – en raison du non-respect du territoire et des biens communs, de l'évasion fiscale, du manque de sensibilité aux conflits d'intérêts ; toutes les manifestations d'une diffusion insuffisante de la civisme qui afflige, bien qu'avec une intensité variable, l'ensemble du territoire national.

Il avait bien saisi la relation entre Rome et le reste du pays Luigi Petroselli, le maire communiste d'une saison très brève mais heureuse entre les années XNUMX et XNUMX, lorsqu'en polémique avec Alberto Moravia, auteur d'un pamphlet très critique à l'égard de Rome, il a rappelé comment "les déséquilibres monstrueux et absurdes de Rome et les bandes de parasitisme qui étouffent encore la vie ont pas été une boule de plomb résiduelle au pied d'un pays [...], mais ils ont agi comme un contrepoint et un détonateur au gaspillage des ressources matérielles, culturelles et humaines, qui a marqué tout le développement du pays ». Rome représenterait donc sans équivoque les faiblesses de l'Italie, bien qu'avec ses propres traits, extrêmes si l'on veut. Le même retard dans la modernisation de la capitale pourrait être l'emblème d'un rapport plus général et controversé que le pays entretient avec la modernité. Mais attention aux acquittements faciles : c'est l'échelle qui est différente, car dans un miroir déformant les défauts nationaux nous sont restitués à une puissance élevée. Dans cette clé, Rome peut être considérée comme une métaphore amère et fascinante.

Alfredo Macchiati

Une déformation qui se lit dans l'ampleur et l'enracinement des forces contraires à la modernisation, examinées dans le deuxième chapitre. Il y a la présence millénaire de l'Église qui avec la modernité… n'a pas exactement une relation fluide et transitoire et dont l'influence sur la ville a été très forte, même si peut-être moins envahissante aujourd'hui qu'il y a trente ans. Il y a la rente immobilière, le moteur séculaire de l'économie romaine, même si aujourd'hui en recul partiel, une force constitutionnellement contraire à certains processus typiques de la modernité comme la concurrence, envers laquelle, d'ailleurs, l'hostilité est si répandue dans tout le pays, mais ailleurs tempérée par une plus grande industrialisation et la nécessité qui en découle de faire face à la concurrence internationale. Il n'y a pas de bourgeoisie active, en partie comme dans le reste du pays, mais avec la « circonstance aggravante » de la proximité avec le pouvoir politique national qui exerce un appel auquel il est difficile de résister pour la classe dirigeante locale avec les branchés typiquement les activités « intermédiaires » par rapport aux activités « entrepreneuriales ». Il y a le crime organisé notoirement d'ascendance traditionnelle, bien que très moderne en termes de moyens et entremêlée de parentés culturelles et politiques; aussi un phénomène qui n'épargne pas le reste du pays mais qui à Rome a trouvé ses propres configurations, certaines même mythifiées, et a une grande diffusion. Ensuite, il y a un facteur spécifique, idiosyncrasique : le caractère local, l'humus culturel, « l'esprit romain » dans la mesure où il est identifiable, et je crois qu'il l'est encore, sceptique et peu enclin au respect du bien commun et qu'en depuis une quinzaine d'années, elle a renoué avec l'abandon, souvent par la corruption, des institutions politiques locales.

Les politiques urbaines et nationales ont peu fait pour remédier aux problèmes sociaux et aux inégalités typiques d'une grande métropole, voire, dans certains cas, comme la politique d'urbanisme, elles ont contribué à les accroître. Le bon gouvernement local a été historiquement une exception : il ne pouvait en être autrement, étant donné la difficulté de construire un bloc social réformateur et modernisateur. Les gouvernements nationaux sont également en fuite qui n'ont pas su esquisser et porter un projet de valorisation du rôle politique et symbolique de la Ville Éternelle. De cette incapacité du politique, la droite, traditionnellement ancrée dans la capitale et notoirement hostile à la modernité, continue de puiser des forces. Les succès limités et les nombreux échecs, surtout les plus récents, de la politique à Rome et envers Rome sont examinés dans le troisième chapitre.

Compte tenu de ces prémisses, la crise était inévitable. Et les formes de la crise, la faiblesse de l'économie tournée vers des activités traditionnelles à faible valeur ajoutée, les inégalités sociales, le désastre des services, sont explorées dans les pages du livre.

À quoi peut-on s'attendre dans un futur proche ? Les deux crises, celle de "l'après 2008" et celle du Covid, ont impressionné accélération rapide à la décadence de la ville. L'élection imminente du nouveau maire ne laisse pas non plus place à l'optimisme, notamment en raison de la manière dont les candidats ont été choisis par les principales forces politiques, où la valorisation de la valeur politique et symbolique de Rome n'a certainement pas joué un rôle primordial. Confirmant l'absence, de la part des grands partis, d'une idée de la ville qui tente d'esquisser une hypothèse de solution à la seule question qui devrait les préoccuper : comment sortir de la décadence, comment faire de Rome un ville à la fois plus juste et renouant avec la croissance et sur quels leviers agir pour atteindre cet objectif extraordinairement ambitieux. On n'entrevoit pas non plus les forces sociales capables de porter un tel projet et de le transférer dans les mécanismes de décision collective. Le scénario le plus probable pour la Capitale semble être la victoire de ce candidat capable de mieux exprimer, de manière plus compréhensible pour l'électorat et plus efficace dans les médias, la forte demande de redistribution des ressources qui vient de la ville , mis à rude épreuve ces quinze dernières années .

Pourtant, il pourrait y avoir quelques conditions pour une "percée miraculeuse" qui s'appuie, au moins en partie, sur les forces qui gouvernent Rome depuis cent cinquante ans. Premièrement, les ressources publiques pourraient refluer en quantités relativement abondantes avec le Plan National de Relance et de Résilience (PNRR) mais aussi avec le Jubilé 2025, ma une nouvelle planification en matière d'urbanisme et une capacité administrative revigorée seraient nécessaires pour qu'elles soient effectivement affectées à la capitale. Et la Reprise, avec les grandes entreprises "semi-publiques" qui joueront un rôle fondamental dans sa mise en place, pourrait ramener l'axe du pouvoir économique à Rome avec les activités connexes de services professionnels et de la finance ; ma pour remplir ce rôle, la capitale doit disposer d'infrastructures numériques et de mobilité adéquates. Le tourisme pourrait également reprendre ma, compte tenu de l'évolution de l'offre touristique ces vingt dernières années, ne pas intervenir pour la réaménager condamnerait Rome à rester sur des services à faible valeur ajoutée.

Les leviers traditionnels ont donc besoin de nouvelles greffes pour un réveil de la ville. Et il faut, avec un peu d'optimisme de la volonté, continuer à repenser Rome et dessiner des politiques publiques qui peuvent marquer une discontinuité, intégrer les moteurs traditionnels de l'économie romaine et faire le miracle. Il y a trois secteurs à confier à une reprise du développement, évidemment non exhaustif, et sur lequel le lecteur trouvera un bref aperçu : des interventions qui récupèrent au moins une partie de la banlieue dans un projet urbain plus large, une relance industrielle des services publics, une institution capable d'agréger la culture de l'offre et de la promouvoir à l'international. Les espoirs de surmonter le déclin économique et le malaise social de Rome restent confiés à la mise en place de nouvelles "institutions économiques de la capitale", sous contrôle public mais avec une présence privée significative, qui peuvent accroître l'attractivité des ressources entrepreneuriales et scientifiques et rendre le ville plus vivable pour tous ses citoyens.

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Pour lire l'introduction de "Miracle 2021 à Rome", édité par Linda Lanzillotta, cliquez ici.

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