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Philippe Léveillé, la passion italienne avec la culture française

Deux étoiles Michelin en Italie et une à Hong Kong, le grand chef international est italianisé depuis 20 ans à Brescia, alliant nos saveurs aux techniques de la cuisine d'outre-Alpes

En le voyant ainsi, au premier coup d'œil, on se souvient, avec ce visage coupé à la hache, les cheveux longs séparés en deux sur le front comme un casque, les grands cils noirs, et les yeux fendus qui vous glacent, un peu de caractère comme Astérix, la très célèbre série comique d'aventure humoristique française créée dans les années 60 par René Goscinny et Albert Uderzo qui a connu une fortune planétaire entre livres, films et gadgets.

Et la comparaison ne semble pas irrévérencieuse, car Philippe Leveillé, le grand chef deux étoiles Michelin de renommée internationale, qui depuis vingt ans a pris ses fonctions à Miramonti l'autre, restaurant raffiné et exclusif à Concesio dans la province de Brescia, avec l'étoile populaire du Strip, que nous avons tous adoré, a beaucoup en commun d'être né sur la côte bretonne, précisément à Nantes, il y a 56 ans.

Comme tous les Bretons, il porte en lui un fort sentiment de fierté des racines, et si Astérix représentait un symbole d'entêtement paysan et d'hostilité à l'invasion romaine (derrière laquelle se cachait un très fort sentiment d'indépendance de la population vis-à-vis de l'Etat central) Léveillé a hérité de ses ancêtres un fort sens de la détermination qui le conduit, le cas échéant, à un malaise et une grande rigueur.

Comment tout cela se traduit-il dans votre cuisine ? Dans une volonté, qui ne connaît pas d'hésitation, à vouloir conjuguer sa culture de formation française dans le respect des traditions avec le "nouveau monde" de saveurs et de couleurs, de légèreté et de parfums qui s'est ouvert devant ses yeux lorsqu'il est descendu en Italie.

Sa cuisine est percutante, généreuse et parvient à combiner la meilleure technique française avec la tradition italienne, deux mondes qui se rencontrent et s'intègrent avec un sens aigu de l'équilibre supérieur.

D'outre-Alpes, le chef breton a apporté la manière de travailler, les techniques de cuisson, la rigueur et la répartition précise des tâches de la brigade, les préparations délicates et la recherche. Et dans la région de Franciacorta, il a trouvé substance et inspiration pour créer ses plats robustes et savoureux, de sorte que dans son menu les "galettes au blé noir" aient la même dignité que les casoncelli et le cidre du vin.

Bien sûr, réussir dans une entreprise comme celle-ci nécessite un long cheminement. Tout part de la ferme ostréicole de Jean Léveillé à Cancale, une ville pittoresque posée dans une baie de rêve en forme de coquillage face au célèbre îlot rocheux du Mont-Saint-Michel et son abbaye médiévale, un incontournable pour tous les gourmands passionnés d'huîtres et de fruits de mer. . Son père appartient à cette catégorie d'hommes en perpétuel conflit avec les éléments hostiles de la nature, prêts à risquer leur vie les nuits d'orage pour sauver le fruit de leur travail. Sa mère cuisine souvent le soir, voire la nuit, car les hommes rentrent du travail tard le soir, nous mangeons avec les employés, un sensationnel boeuf marbeuf une sorte de viande braisée cuite au cidre, la boisson alcoolisée issue de la fermentation de pommes bretonnes tandis que les hommes racontent leurs aventures. Première leçon apprise par le jeune homme : le travail demande de la ténacité et des sacrifices. Philippe, aidant son père, fait la connaissance de quelques-uns des plus grands chefs français qui se rendent à Cancale pour sélectionner ou acheter des huîtres pour leurs restaurants. Des amitiés naissent de connaissances et certains chefs invitent Papa Jean et son fils Philippe à leur rendre visite. "En ces étés de mon enfance et de ma pré-adolescence - se souvient aujourd'hui Leveillé - les portes de la restauration professionnelle au sens littéral s'ouvrent devant moi pour la première fois, mon amour inné et spontané pour la nourriture commence à se dessiner au gré de stimuli moins immédiats" . Ainsi l'idée que la nourriture en plus d'un plaisir peut aussi représenter un futur métier commence à faire son chemin chez le garçon de 13 ans.

Bien sûr, il ne manque certainement pas de motifs de condamnation. Là, au Mont Saint Michel, il y a un ancien restaurant traditionnel, une gloire de la région, La mere Poulard, au coeur du village médiéval qui dans l'histoire a vu de grands maîtres tels que Paul Bocuse Michel Guerard et George Leblanc à l'œuvre dans sa cuisine . Un monde qui commence à exercer une forte fascination sur l'adolescent Philippe.

Mais l'épée de Brenno qui le motive définitivement sur la balance des choix professionnels est celle qui tombe un jour à l'école. Philippe n'est peut-être pas le premier de la classe mais il s'en sort. Cela arrive à cause "d'une petite femme très laide et détestable, noire, sèche, la ligne des sourcils qui ne se casse pas au-dessus du nez crochu, et une teinte de moustache légère mais tout aussi repoussante sur les lèvres : Madame Briand", elle professeur. Bref, un de ces personnages négatifs qui marquent votre vie. Qui n'a pas eu une Madame Briand à détester dans sa jeunesse ? Bref, il arrive que Briand, qui n'avait jamais eu de penchant pour lui, l'offense lourdement et offense aussi sa famille comme un repaire "de débiles". Philippe a 13 ans et ne voit plus, il se lève et lance une chaise à la maîtresse. Le résultat est éjecté.

Ce qu'il faut faire? La rentrée scolaire est impossible, mais le chemin vers l'école hôtelière (déjà virtuellement tracé dans le cerveau de Philippe, on l'a vu) se dessine dans l'horizon immédiat du jeune homme. C'est ainsi que le garçon Leveillé fait son entrée triomphale dans la prestigieuse école de Saumur, l'une des plus anciennes écoles de France créée par Maurice Edmond Seiland dit Curnonsky, l'un des monstres sacrés de la gastronomie française, à qui l'on doit après l'exaltation de cuisine internationale des hôtels soutenus par Escoffier pour avoir réhabilité la cuisine traditionnelle populaire et bourgeoise. Je passe quatre ans à Saumur et j'apprends presque tout ce que je sais de la cuisine française. A la fin du cursus sur 1200 élèves il termine troisième avec mention. Et cela lui ouvre les portes du légendaire restaurant Lucas Cartona di Pace de la Magdeleine à Paris où il va travailler dans une véritable brigade de cuisine en tant que commis.

« A 17 ans, entrer dans Lucas Carton, c'est entrer dans l'histoire, la première ouverture du restaurant remonte à 1839 sous le nom programmatique de la Taverne de la France lorsque Charles Louis Napoléon Bonaparte, futur empereur de France Napoléon III, le fréquentait. assidûment. En 1933, Lucas Carton est le premier restaurant de France et donc du monde à obtenir trois étoiles au guide Michelin" : Leveillé entre dans la grande cuisine comme une flèche et franchit la grande porte, ce qui fait trembler les poignets. Pourtant, le garçon a les pieds bien dans sa ténacité de paysan breton, il ne se laisse pas abattre et dans les moments de liberté il va régulièrement manger dans les bistrots parisiens les plus courus "Je les bats au tapis les uns après les autres, j'essaie les comprendre, engageant ma mémoire dans les ambiances culinaires françaises les plus authentiques », veut pénétrer au cœur du territoire.

En tant que commis Leveillé, il est chargé de nettoyer les poissons et d'ouvrir les huîtres en cave. Et là, un autre miracle se produit : un jour, le chef Alain Senderens lui-même va inspecter la cave, apprécie sa commande, sa dextérité, son dévouement et la déplace vers les fourneaux. Il travaillera directement sous le chef de partie poissonnier, le fish chef. 

Distinction Lucas Carton sur la poitrine, Philippe Leveillé n'a pas de frontières et partout où il passe, les portes des restaurants les plus prestigieux lui sont ouvertes, de l'hôtel Winsor Clovis à l'hôtel Helton Kennedy à New York, du Boucairre Meridiane en Martinique, jusqu'au Vis Palace Grand Corniche à Monte-Carlo. Il est dans la bonne ronde et passe également par l'Argentine, le Venezuela et le Brésil.

Jusqu'au jour où, alors qu'il était à Rio de Janeiro sur un yacht, il rencontre un groupe d'italiens qui lui parlent du chef Vittorio Fusari. Cela l'intrigue, il monte sur un voilier à destination du Portugal et de là il arrive à Fusari. Quelqu'un qui aime à dire : « Passion pour le terroir lombard, créativité, équité, éthique et solidarité sont les ingrédients de ma cuisine. Une cuisine qui choisit de conserver la mémoire de sa culture et de ses origines, et de se nourrir en privilégiant des matières premières saines dans le respect du lent passage des saisons. Une cuisine qui est aussi capable d'innover, de créer de grands plats adaptés à la vie d'aujourd'hui". C'est de la musique aux oreilles de Leveillé qui est immédiatement lié par affinité élective au Chef italien. Affinité qui devient collaboration avec le "Maschere di Iseo", où Leveillè est resté de 1987 à 1991, remportant la première étoile Michelin avec Fusari. De là, il s'installe pendant un an au restaurant "Antico Ponte di Briolo" où, depuis cinq générations, la famille Assolari s'occupe religieusement des traditions de la cuisine de Bergame afin qu'elles ne soient pas oubliées. Une autre expérience qui lui a fait découvrir les secrets de la cuisine italienne nordique

Mais le grand tournant dans la vie professionnelle et privée de Philippe Leveillé vient avec son débarquement en 1992 au Miramonti di Caino, restaurant historique sur la route qui relie la vallée de Trompia à la vallée de Sabbia dans la province de Brescia et la rencontre avec la famille Piscini , qui l'avait fondée, la rendant célèbre, 50 ans plus tôt. Avec les Piscini, une étincelle est allumée qui devient un véritable feu d'admiration mutuelle et de loyauté. En 1994, lorsque les Piscini décident de transférer le restaurant à Concesio, toujours à Brescia, l'appelant Miramonti l'autre, Leveillè fait désormais partie de la famille, quelque chose de tellement perçu qu'il finira par épouser Daniela Piscini, fille des propriétaires et qui aujourd'hui, elle est aussi sa collègue de travail.

Mais au-delà du feu d'amour pour Daniela, Philippe Leveillé est habité par une admiration extraordinaire pour sa mère Maria Muffolini, chef à domicile, étoilé Michelin en 1991, dont il apprend les plats traditionnels italiens et les principes et techniques fondamentaux.

La grande technique de Philippe, qui maîtrise l'académie, rencontre humblement le savoir-faire inégalé de Mary Piscini. La dame de Miramonti lui a transmis les secrets de plats cultes comme le risotto aux champignons et fromage doux de montagne.

Et quand le relais change de main lorsque Philippe hérite de la cuisine de Miramonti, ce mélange de cultures gallo-lombardes qui avait fait l'objet de confrontations, d'études et d'analyses approfondies constantes entre belle-mère et gendre devant la cuisine de Miramonti poêles, cela se traduit par la deuxième étoile Michelin.

Nei menù firmati da Philippe troviamo piatti intramontabili come la quaglia laccata, le rane saltate in burro aglio e prezzemolo o il Crescendo di agnello con finale di suo carrè, piatto ispirato alla signora Veronelli, 12 ricette di quinto quarto che contornano il carrè al centro del plat.

Mais Philippe veut, avec ses ingrédients sélectionnés au quotidien, faire ressurgir des souvenirs de sa Bretagne, faire dialoguer encore plus ses deux âmes, tout en écoutant son âme bretonne profonde.

Son expérience d'enfant, lorsqu'il partait avec son père ostréiculteur pêcher les huîtres les fait revivre avec la sapidité et l'iode que l'on retrouve dans le Concombre aux huîtres et au caviar, un plat qui comprend aussi des saveurs de Chine. Le concombre est mariné à l'aigre-doux du citron vert, l'échalote donne le croquant, l'huître l'iode et le caviar Calvisano la sapidité. C'est le plat qui exprime le mieux les racines du chef.

Mais il n'y a pas que l'Italie du Nord qui touche la sensibilité du chef franco-italien et peut-être aujourd'hui faudrait-il dire plus italo-français.

Avec #je voulais être une tomate !! Philippe Leveillé signe un plat né après un voyage en Sicile et un déjeuner chez Ciccio Sultano à la carte depuis trois ans, qui est un hommage au grand sud de l'Italie. Il se compose d'un tartare de crevettes rouges, citron vert, huile d'olive extra vierge, écume de bufflonne, avec lait et crème de bufflonne recouvert d'un voile de tomate servi avec un sorbet au basilic.

Et enfin une autre grande assiette signée Philippe Lèveillè : Alice au Pays des Merveilles. Une façon de présenter un jeu, un monde imaginaire dans lequel on s'immerge en perdant les coordonnées spatio-temporelles. Le monde du chapelier fou, où les légumes sont présentés sous 14 modes de cuisson différents comme dans un tableau du salon de Lewis Carroll.

Des saveurs, des associations, des inventions souvent audacieuses, aux condiments non moins souvent audacieux, c'est une cuisine gourmande, beurrée, généreuse où la légèreté si à la mode en ce moment n'est pas un impératif catégorique, car pour Leveillé, qui a écrit avec provocation un livre le dédiant à Le beurre, le seul Dieu devant qui il se prosterne est le goût. Et tout cela a été apprécié non seulement en Italie où il s'est solidement établi au sommet de la fine cuisine mais aussi à l'étranger, où à Hong Kong il a ouvert son propre restaurant "L'altro" qui connaît un grand succès et avec lequel, pendant seulement deux mois après ouverture, 2102 a obtenu une étoile Michelin.

Le célèbre visage de télévision Philippe Leveillé a participé à MasterChef Italia sur Sky Uno, The Chef, sur La5, Beijing Express, sur Rai 2, Igles & Friends sur Gambero Rosso Channel, Chopped Italia, Food Network, Detto Fatto sur Rai 2, The restaurant des chefs sur Rai 2. Dans toutes ces émissions il s'est fait remarquer par sa rigueur dans le respect des matières premières, dans le refus du gaspillage et dans la pratique d'une cuisine qui valorise le territoire et ses énergies, fruit de son expérience de jeunesse en tant que volontaire en Afrique. « Mon rapport à la nourriture après l'expérience africaine – a-t-il déclaré – n'est plus le même. En premier lieu dans mon travail, partout où je le fais, il n'y a que le respect sacré et obsédant de la nourriture, de tous les aliments des hommes, un respect qui prend dès lors une forme de férocité et se transforme en haine face à de tout gaspillage à tout comportement qui exprime une négligence ou une négligence vis-à-vis de la nourriture quiconque travaille en cuisine avec moi est prévenu".

Mal a blâmé Federico, vainqueur de la troisième édition de Masterchef. A cette occasion, le candidat a préparé un plat avec l'ingrédient star de l'épreuve, les grenouilles. Philippe critique le choix minimaliste de servir une matière première très chère en portions quasi invisibles : « Vous êtes médecin, vous respectez les gens. Apprenez à respecter la nourriture», lui dit-elle, et avec un visage boudeur, retrouvant son âme de Viking..

Bref, le Breton descendant d'Astérix ennemi des Romains a fini par être bien plus italien qu'il n'aurait jamais pu l'imaginer dans sa jeunesse alors qu'il était fier de ses origines rebelles. Tellement italien qu'en 2017, à l'initiative de l'Agence commerciale italienne et de l'Ente Nazionale Risi Philippe, il est nommé professeur de risotto pour donner des cours à l'académie de cuisine Paul Bocuse à Lyon et à l'École Ferrandi à Paris.

Et dire que tout vient de "l'horrible laide, odieuse et noire Madame Briand" à qui peut-être la gastronomie italienne, vu comment les choses se sont passées, devrait peut-être adresser une pensée reconnaissante, s'il n'y avait pas eu cette chaise….

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