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BLOG PAR ALESSANDRO FUGNOLI (Kairos) – La prudence de Draghi sauve l'Amérique pour sauver l'Europe

DU BLOG « ROUGE ET NOIR » D'ALESSANDRO FUGNOLI, stratège de Kairos – La prudence de la BCE évite de pousser l'euro trop loin face au dollar et renonce ainsi à voler un peu de croissance à l'Amérique à la veille de la hausse des taux Fed mais évite aussi effrayer Wall Street au grand soulagement de tout le monde : les États-Unis, le monde et donc aussi l'Europe

BLOG PAR ALESSANDRO FUGNOLI (Kairos) – La prudence de Draghi sauve l'Amérique pour sauver l'Europe

Avant de partir, il reste à critiquer l'habituel bras court de la BCE, il faut faire quelques réflexions. La première est que jusqu'à il y a deux mois nous aurions tous sauté de joie à l'idée d'une baisse des taux et à celle d'un prolongation de l'assouplissement quantitatif de six mois. Il est vrai que l'inflation était faible et qu'elle l'est restée, mais il est également vrai que l'impression était alors que la BCE, d'une manière ou d'une autre, était d'accord.

Il y a encore deux semaines, jusqu'au discours emphatique de Draghi sur la volonté de tout faire pour faire remonter l'inflation, nous aurions tous été satisfaits des mesures prises aujourd'hui.

La deuxième considération est que le véritable événement de ce mois de décembre monétaire, sans rien enlever à la BCE, est la Hausse des taux américains ce qui est de plus en plus clair pour le 16, quand la Fed mettra fin à une phase historique, qui a duré sept ans, de taux zéro. Alors que pour l'Europe, il s'agit simplement de continuer sur une voie, pour l'Amérique, nous sommes face à un virage à 180 degrés dans lequel il s'agit non seulement d'une augmentation de 0.25 %, en soi tout à fait négligeable, mais du début d'un long cycle cela nous occupera pendant les deux ou trois prochaines années.

Aujourd'hui les marchés sont déçus car il manque une cerise ou deux au gâteau promis et livré par Draghi. Leéchange d'euros, du fait de ce manque, revient vers 1.10, alors que certains analystes, même très autoritaires, étaient allés trop loin en prévoyant un grand pas vers la parité entre l'euro et le dollar.

Regardons-nous dans les yeux cependant. Qu'est-ce qui est préférable, dans le grand schéma des choses ? Il vaut mieux maintenir l'euro dans sa fourchette 1.05-1.10 et renoncer à voler un peu de croissance à l'Amérique, mais en retour garantir des conditions équilibrées et ordonnées autour de la hausse américaine de 16, ou mieux aller directement à la parité avec le dollar , avoir une hausse éphémère des Bourses européennes et payer le tout à partir du 16, avec un Wall Street incapable de supporter le double poids d'un dollar trop fort et de la hausse des taux ?
Le plus grand découplage que le monde ait jamais vu entre l'Europe et l'Amérique, c'est quand la première monte et que la seconde s'immobilise. Si l'action américaine chute, nous pouvons être sûrs que l'Europe la suivra en baissant encore plus, compte tenu de sa plus grande volatilité et de sa fragilité sous-jacente.

Sauver l'Amérique, pour sauver le monde, donc, et donc aussi l'Europe. La prudence de Draghi pourrait finalement signifier un Noël plus calme pour tout le monde.

Une troisième considération pouvant expliquer l'attitude de la BCE est que la croissance européenne, sans être étonnante, est en tout cas bonne et devrait encore s'améliorer l'année prochaine. L'effet de la dévaluation de l'euro, comme celui de toute dévaluation, ne se déploie pas à son maximum la première année, mais la seconde et donc en 2016.

Face à des inconnues géopolitiques potentiellement importantes, il est également important de garder quelques munitions en réserve et de ne pas tout dépenser tout de suite, surtout à l'heure où l'Europe semble sortie de récession. Au passage, ces inconnues produisent déjà un effet expansionniste non négligeable dans la politique budgétaire de certains pays, dont la France, qui dépensera davantage pour la défense et la sécurité, et l'Allemagne, qui renoncera à un budget équilibré pour accueillir les réfugiés.

Et en parlant de l'Allemagne (quatrième considération), il faut rappeler le moment difficile que traversait Merkel, exposée sur son flanc droit à une Alliance pour l'Allemagne qui pourrait voir une augmentation significative de ses consentements électoraux lors des prochaines consultations régionales. Encore une fois, regardons-nous dans les yeux. Préférons-nous une Merkel qui soit le maximum d'européanisme que l'Allemagne puisse exprimer aujourd'hui ou voulons-nous Schaeuble à sa place avec une ligne pro-européenne mais beaucoup plus rigide ? Parfois, nous avons tous tendance à oublier que ce que le monde et nous, les Méditerranéens, aimons, une BCE ultra-expansive, est exactement ce que beaucoup d'électeurs allemands n'aiment pas du tout.

Cela dit, le mystère demeure d'une BCE qui a suscité des attentes à l'approche de la réunion d'aujourd'hui et a ensuite laissé un arrière-goût amer dans ce qu'elle a finalement décidé. L'explication peut peut-être être recherchée dans une Amérique qui, ces derniers jours seulement, semble avoir renoncé à une hausse des taux (rendue inévitable par la vigueur de l'emploi et l'épuisement rapide des ressources inutilisées) tout comme certaines données de sentiment parmi les consommateurs et les les entreprises montrent une certaine perte de vitesse.

Nous le répétons, le monde dépend de l'Amérique, il ne peut en aucun cas permettre au moteur américain de caler ou de s'arrêter. La parité entre l'euro et le dollar peut attendre, elle peut être utile à l'avenir au cas où l'Europe se retrouverait à nouveau empêtrée dans une de ses crises politiques ou dans laquelle les arrangements géopolitiques continueraient à se déstabiliser.

Pour l'instant il suffit que l'euro reste dans sa fourchette et ne repasse pas au-dessus de 1.10. À ceux qui ont des dollars dans leur portefeuille, nous leur disons de ne pas trop s'inquiéter. La diversification est un bien en soi, l'Amérique est plus à l'abri de la crise géopolitique et n'a pas à augmenter ses dépenses militaires car elles sont déjà suffisamment élevées. Rester en dollars plutôt qu'en euros, c'est aussi avoir un rendement positif, qui continuera à augmenter dans le temps, et éviter les taux négatifs que les banques, tôt ou tard, tenteront de répercuter sur les déposants sur tout le continent européen.

La déception partielle d'aujourd'hui reporte également le marché obligataire baissier sur les obligations longues européennes. Une BCE super-agressive, et donc pleinement crédible dans sa volonté de faire monter l'inflation, aurait posé quelques problèmes aux dix ans allemands ou italiens. Pourquoi m'enfermer à 0.50 pendant dix ans si la banque centrale peut vraiment ramener l'inflation à 2 en quelques mois ? Aujourd'hui, cependant, certains doutes subsistent, confirmés d'ailleurs par les prévisions de la BCE elle-même, qui tablent sur une hausse lente et très progressive des prix à la consommation. A ce stade, les bourses européennes resteront immobiles pour un temps, mais rappelons que les hausses depuis le début de l'année sont et resteront en totale conformité avec le bilan final. L'Europe reste la zone boursière la plus intéressante avec le plus de potentiel pour 2016.

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