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Rainer Masera : la réglementation européenne fait couler les petites banques

Selon l'ancien ministre Rainer Masera, les règles européennes de plus en plus complexes appliquées aux banques sans distinction entre grandes et petites, contrairement à ce qui se fait aux États-Unis, ont fini par profiter aux grands établissements et étouffer les banques régionales et locales, pénalisant par conséquent les petites entreprises et les économies locales.

Rainer Masera : la réglementation européenne fait couler les petites banques

Au cours des vingt-cinq dernières années (à partir des directives du Conseil 89/299 et 89/647), la réglementation bancaire en Europe a été façonnée par la transposition dans la législation nationale des accords sur les fonds propres élaborés par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) au sein de la BRI (Banque des Règlements Internationaux) à Bâle. Les normes ont été conçues pour créer des règles du jeu équitables pour les grandes banques internationales. En Europe, le processus de mise en œuvre a, en revanche, toujours visé toutes les banques, sans distinction de volume d'actifs et de type d'opération.

En 2013, la Commission européenne a réitéré et justifié cette approche unitaire (one size fits all) en expliquant la transposition de Bâle III dans la législation européenne (CRR/CRD IV), "pour éviter les distorsions de concurrence et l'arbitrage réglementaire"[1]. Or, on peut soutenir l'inverse : les règles bâloises de plus en plus complexes, les avantages en termes d'absorption du capital des modèles internes avancés et les garanties publiques implicites et explicites pour les très grandes banques systémiques (too big to fail) ont favorisé les grandes banques, sollicité arbitrage des règles de fonds propres, impactant négativement la compétitivité des banques régionales/locales avec un modèle économique "traditionnel".

Le cadre réglementaire unitaire des banques façonne donc tout le système de l'Union bancaire (définie au sens large) en Europe. Les coûts (de fonctionnement et de personnel) liés à la mise en conformité avec un système réglementaire très complexe, qui peut être contourné surtout avec des transactions via des produits dérivés (tout aussi complexes, voire plus), incombent de manière disproportionnée aux banques de détail de petite et moyenne taille. Au-delà de l'aspect important d'assurer des conditions de concurrence réelles pour les entreprises bancaires en Europe, le problème revêt une grande importance si et dans la mesure où les banques régionales et locales jouent un rôle particulièrement incisif et significatif en tant que banques de proximité, en particulier pour les micro et petites et moyennes entreprises , composantes essentielles de l'économie réelle et de l'emploi.

Le modèle économique des banques régionales bien gérées présente un avantage comparatif dans le financement des petites entreprises locales, même si elles font partie de chaînes d'approvisionnement plus importantes. En particulier, le secteur des micro-entreprises est en Italie, mais aussi en Europe, le plus important en termes de création (et de destruction) d'emplois, avec des caractéristiques fortement pro-cycliques, comme amplement documenté dans les derniers rapports annuels de la Fédération bancaire européenne . Les liens entre les banques régionales et les PME sont très étroits, avec des effets de rétroaction importants qui amplifient les tendances économiques. En particulier, les micro-entreprises sont celles qui éprouvent les plus grandes difficultés de financement externe, en raison des caractéristiques intrinsèquement moins transparentes des bilans et de l'inévitable imbrication avec la situation économico-financière du propriétaire/entrepreneur.

Même les petites entreprises doivent évoluer vers des modèles non opaques, avec une plus grande attention aux profils de rentabilité et de capitalisation des entreprises. C'est ce qui se passe, également sur la base des modèles d'évaluation de la solvabilité demandés par Bâle. Il faut cependant éviter de "jeter le bébé avec l'eau du bain". Le modèle de réglementation unitaire des banques adopté en Europe a eu un impact négatif sur le flux de crédit aux petites entreprises et sur les économies locales. Les mêmes statistiques publiées par la Banque centrale européenne sur l'accès au financement externe pour les PME ont mis en évidence des symptômes clairs de rationnement du crédit ces dernières années (BCE, 2014).

Il ne s'agit pas d'arguments d'arrière-garde, qui doivent céder la place à des schémas de financement plus efficaces et évolués. A l'inverse, il faut reconnaître que les modèles de régulation prudentielle avancée doivent être moins complexes et en tout cas non pénalisants pour les banques de détail locales et régionales. En d'autres termes, la réglementation des banques devrait être proportionnée et mieux articulée sur la base de la taille et de l'ensemble des activités exercées par les banques, en tenant compte de leur empreinte de risque systémique. Comme il sera illustré ci-dessous, ces considérations ne représentent pas un simple exercice intellectuel et académique. Un modèle de fonctionnement différent du « one-size-fits-all » émerge des approches prudentielles développées, notamment après la grande crise financière, aux Etats-Unis et au Japon mais aussi dans les grands pays émergents, comme la Chine par exemple. Dans cet ouvrage, cependant, une référence spécifique est faite à la comparaison entre l'Europe et les États-Unis, en ce qui concerne les banques régionales.

La régulation bancaire sur le capital des banques en Europe basée sur les modèles bâlois s'insère aujourd'hui très opportunément - mais, comme évoqué, avec un sérieux retard par rapport aux indications du rapport De Larosière (2009) - dans le processus d'Union bancaire. Cela pourrait être l'occasion d'une reconfiguration progressive du système plus articulé et moins complexe. D'autre part, le même règlement du Conseil qui confie la micro-surveillance à la BCE (1024/2013) souligne que la Banque, dans l'exercice de ses fonctions, est appelée au principe de proportionnalité et « doit respecter pleinement la diversité des établissements de crédit , pour leur taille et leurs modèles économiques. En tout état de cause, le système financier européen est trop bancarisé et ne peut manquer d'évoluer vers des structures dans lesquelles l'intermédiation marchande joue un rôle beaucoup plus important. 

Même pour les petites entreprises, le rôle du financement bancaire ne peut manquer d'être réduit. Mais le processus doit être progressif, il nécessite l'activation de modèles de titrisation de crédit adaptés, il ne peut impliquer de charges importantes pour les banques régionales et les économies locales. Outre-Atlantique, le Trésor et la Fed sont déjà intervenus depuis 2008 également avec des actions ciblées pour les petites banques, d'abord pour encourager la titrisation des prêts problématiques, à travers le TARP, puis pour la titrisation des prêts sains à travers les Government Sponsored Agencies et les Small Administration des affaires.

A cet effet, la création de véhicules ad hoc de titrisation des crédits sains accordés par les banques régionales aux micro et petites entreprises locales pourrait permettre de façon dynamique :

– réduire significativement la charge en fonds propres réglementaires[2] des banques régionales, compte tenu de la diversification des risques de portefeuille découlant de la souscription de titres par rapport à la comptabilisation au bilan des prêts individuels ;

– rouvrir un canal de refinancement alternatif pour les banques régionales avec pour conséquence une maîtrise significative des coûts de financement, qui pourrait être largement répercutée sur les micro et petites moyennes entreprises locales sous la forme d'une baisse des taux d'intérêt et/ou d'un allongement des échéances (duration ) du financement ;

– accélérer le processus d'intermédiation des crédits sur les marchés des capitaux car la titrisation des crédits représenterait une étape intermédiaire par rapport à l'accès direct au marché des PME. En fait, les PME auraient ainsi entre-temps la possibilité de se familiariser indirectement avec les exigences de conformité et de divulgation d'informations requises pour tout accès direct ultérieur aux marchés des capitaux.

Un modèle de fonctionnement fondé sur ces considérations peut être tracé en tenant compte des différentes expériences et modèles réglementaires adoptés en Europe et aux États-Unis.

Aux États-Unis, l'approche à plusieurs niveaux de la réglementation bancaire a été introduite par la loi Dodd-Frank elle-même, ainsi que la surveillance macroprudentielle et le mandat donné à la Fed de poursuivre également l'objectif de stabilité financière, en plus du soi-disant Twin Culminer; il a ensuite été décliné sur le plan opérationnel par la Fed et d'autres autorités de surveillance.

Comme mentionné, en Europe, la Commission a en revanche adopté l'approche réglementaire unitaire avec des coûts d'exploitation de facto croissants pour les petites et moyennes banques. Les tableaux que je rapporte sur la morphologie des deux systèmes bancaires sont significatifs à cet égard. Contrairement aux thèses également officiellement avancées par la BCE (2013), selon lesquelles le nombre total de banques européennes est supérieur à celui des États-Unis et que ce nombre de banques diminue plus rapidement outre-Atlantique, c'est essentiellement l'inverse qui semble Sois sincère. La tendance de long terme relative à la concentration et à la réduction du nombre d'établissements de crédit s'observe clairement tant en Europe qu'aux États-Unis. D'autre part, les données recueillies ici indiquent que les petites banques disparaissent rapidement précisément en Europe (3.265 5.538 "banques moins importantes" contre 30 50 banques avec des Normes Prudentielles Simplifiées ; il faut rappeler que les petites - ou "moins importantes" - banques européennes ont des actifs totaux inférieurs à XNUMX milliards d'euros, tandis que les petites banques américaines ont des actifs totaux inférieurs à XNUMX milliards de dollars). Ce sont des données sur lesquelles il faut réfléchir, aussi et surtout pour les implications qu'elles ont pour le système PME. À moins que l'approche réglementaire unique ne soit rapidement modifiée, les coûts de mise en conformité, le nombre toujours croissant et la complexité toujours croissante des réglementations bancaires devraient accélérer les tendances décrites ici.

La complexité, le nombre croissant et les révisions continues des règles qui s'appliquent aux banques, principalement, mais pas exclusivement liées à l'évolution des normes de fonds propres de Bâle (pour lesquelles Mark IV est annoncé) rendent le respect de plus en plus onéreux pour les salariés et les coûts pour les petites et moyennes banques ; créer un désavantage concurrentiel artificiel, qui n'est pas justifié par la recherche de la stabilité financière et qui va à l'encontre du principe d'égalité des chances.

Les règles microprudentielles peuvent donc entrer en conflit avec les objectifs macroprudentiels. L'approche unitaire des règles et de la supervision des entreprises bancaires est incorrecte, devient contre-productive, crée des désavantages pour les petites et moyennes banques et, par conséquent, pour le crédit aux ménages et aux PME au niveau local.

L'approche réglementaire et prudentielle unitaire, qui n'est pas intrinsèquement liée aux accords de Bâle destinés aux grandes banques internationales, a été explicitement et formellement supprimée aux États-Unis par le Dodd-Frank Act (2010). La Fed et les autres agences fédérales continuent sur cette base dans l'articulation et la mise en œuvre d'une approche à plusieurs niveaux.

En Europe, cela ne s'est pas produit, avec des conséquences négatives pour la croissance et le développement, également parce que le rôle et l'importance des PME dans le tissu productif de l'UE, et en particulier en Italie, sont particulièrement importants. Comme indiqué ci-dessus, les nouvelles règles sur la résolution des banques et l'approche du renflouement interne proposent en fait de nouvelles mesures dissuasives pour les petites banques. Le dispositif actuel doit être revu.

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