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Portefeuille effet Trump : plus de dollars et plus d'actions cycliques

Extrait de "LE ROUGE ET LE NOIR" d'ALESSANDRO FUGNOLI, stratège de Kairos - L'effet Trump se fait sentir sur les marchés mais il faut distinguer le court terme du moyen terme - Dans un horizon de 12 mois il vaut mieux acheter des dollars et actions (mais pas les utilities et la grande consommation) et vendre des obligations – Mais à court terme il vaut mieux être prudent pour saisir les meilleures opportunités d'achat et de vente

Portefeuille effet Trump : plus de dollars et plus d'actions cycliques

Enfants, dit Lacan, nous nous identifions à notre père. Nous le voyons omnipotent et, en l'introjectant en nous, nous sommes capables de construire un ego fort. En grandissant, on découvre cependant que le père n'est pas tout-puissant car il a eu à son tour un père qui l'a symboliquement castré. Cette découverte est douloureuse mais précieuse, car elle nous aide à ne pas nous sentir tout-puissants et ouvre la voie à une relation non pathologique avec l'environnement social.

Selon la psychanalyste israélienne Esther Rapoport, Trump est vécu par les partisans et les opposants (et elle est fièrement parmi ces derniers) comme l'archétype de la figure paternelle primordiale élevé par des loups et non castré et donc véritablement omnipotent. Pour gagner, après tout, Trump n'avait besoin, contrairement à d'autres hommes puissants mais normaux, ni d'argent ni du soutien politique d'autres sujets. Il n'a même pas eu à se plier aux conventions morales de son temps. Cette force absolue, semblable à celle du pharaon, a conquis ses partisans, sereinement indifférents aux contradictions du père primordial (qui contribuent d'ailleurs à s'identifier à lui), mais exerce aussi une fascination diabolique sur ses adversaires. Trump, conclut Rapoport, c'est comme l'héroïne. Une petite dose suffit pour être subjugué.

Il a été écrit, pendant la campagne électorale, que les opposants ont toujours pris Trump au pied de la lettre, mais pas au sérieux. Les partisans, en revanche, ont pris Trump très au sérieux, mais pas littéralement. Ce mandat vide a donné et continue de donner une grande marge de manœuvre à Trump. Les marchés, dans leur conformisme, ont adopté le point de vue des adversaires de Trump jusqu'au jour du vote et ne l'ont jamais pris au sérieux. Après le vote, il leur a fallu littéralement trois heures, comme leurs adversaires, pour commencer à prendre Trump terriblement au sérieux. D'où l'envolée du dollar et des taux, la chute de l'or et les nouveaux plus hauts des bourses.

Dans l'ensemble, cette réaction est logique. Trump va donner une poussée d'adrénaline à un cycle économique qui était en fait toujours vivant mais que psychologiquement il était en train de mourir. Le récit passera de la stagnation séculaire suicidaire de Summers à l'optimisme néo-Reagan des énergies se libérant des chaînes et des esprits animaux qui se déploient à nouveau. Les tarifs, à leur petite échelle, profiteront eux aussi du nouveau climat de liberté et se positionneront pour quelque temps là où le marché veut et pas seulement là où le Fomc veut. Le dollar redeviendra important aussi.

Justement les marchés ont aussi déclassifié les craintes liées au néo-protectionnisme trumpien. Au final, les deux hommes forts de l'économie mondiale, Trump et Xi Jinping, trouveront un compromis sur le taux de change et sur l'excédent bilatéral de la Chine face aux Etats-Unis. Pour l'instant, les Chinois, profitant des dernières semaines d'Obama, vont de l'avant en dévaluant le renminbi autant qu'ils le peuvent, mais le jour viendra bientôt où tout sera remis sur la table et la partie de poker commencera. Trump et Xi sont pragmatiques et tous deux bénéficieront d'un accord plutôt que d'une guerre.

Quant au reste, L'ALENA sera rapidement renégocié (le Mexique et le Canada sont déjà prêts) et sera éventuellement étendu pour inclure le Royaume-Uni. Le reste du monde ne sera pas affecté et l'Europe pourra continuer à jouer les mondialistes avec elle-même.

Alors que faire? Chasser les marchés et acheter des dollars et des actions (pas de services publics, cependant, et pas de biens de consommation) en vendant des obligations de toutes sortes et de toutes les couleurs ? Oui si l'horizon est de 12 mois, pas forcément s'il est court, pour deux raisons.

Le premier est que la volatilité offrira probablement de meilleures opportunités d'achat et de vente à ceux qui savent avoir un peu de patience. Maintenant, nous avons vu les ajustements automatiques de portefeuille des fonds de parité des risques, des suiveurs de tendance et de tout ce qui est confié aux ordinateurs. À partir d'ici
devant nous, nous verrons des humains au travail, plus craintifs, incertains et boiteux. Le référendum italien, même fragilisé, offrira peut-être de meilleures opportunités d'achat. Les bénéfices des entreprises américaines qui seront annoncés à la mi-janvier seront alors négativement affectés par la force du dollar sans encore bénéficier des baisses d'impôts sur les sociétés promises lors de la campagne électorale. Il est vrai que les entreprises européennes bénéficieront au contraire d'un euro plus faible, mais nous savons que le chef d'orchestre des bourses mondiales est Wall Street.

La deuxième raison d'être prudent et avisé, du moins aux niveaux actuels, est plus stratégique. Les marchés et les adversaires de Trump, dans leur zèle de néophyte, ont commencé à prendre Trump très au sérieux mais n'ont pas cessé de le prendre au pied de la lettre. Et la lettre de Trump, comme ses partisans le savent, est volatile. Aux acheteurs de dollars (qui ont aussi leurs raisons basées sur le différentiel croissant des taux), nous posons une question. Comment réagiriez-vous si Trump, à son heure locale habituelle de trois heures du matin n'importe quel jour dans les mois à venir, tweetait "Un dollar fort, d'accord, mais la compétitivité de l'Amérique est encore plus importante, rend l'Amérique à nouveau grande" ? Nous aurions via Twitter, dans une seconde, la réédition de l'accord de Plaza de septembre 1985, celui auquel cinq ministres des Finances sont parvenus difficilement pour stopper la grande ascension reaganienne du dollar. Or il est vrai que Stanley Fischer vient de nous dire que l'Amérique a enfin réussi à absorber la réévaluation du dollar face à l'euro, au yen et aux marchés émergents et que donc, implicitement, elle peut supporter une nouvelle appréciation, mais il n'est pas certain que Trump sera enthousiaste.

Idem pour les obligations. "Des taux plus élevés, d'accord, mais maintenant donnons de l'oxygène à nos belles entreprises, rendons l'Amérique encore plus belle". N'en déplaise au FOMC, qui sera rapidement trompé dans les prochains mois, et aux marchés, trop habitués à peser les soupirs et chuchotements des banquiers centraux avec la balance.

La figure du père primordial se prête, en fin de cycle, à être la victime du sacrifice rituel par lequel les humains, comme l'écrivait René Girard, tournent périodiquement la page de leur histoire. Après avoir été sacrifiée, la victime est honorée et sanctifiée. Il se peut que ce soit le destin de Trump, tout comme il se peut que les tonalités et les réactions que nous observons à ce stade soient tempérées face à une présidence qui pourrait s'avérer, qui sait, plus normale que prévu. Cependant, nous assistons maintenant à la montée du Trumpisme, nous verrons à quel point il est résistible.

Des portefeuilles trumpiens, donc, avec plus de dollars et de cycliques et moins de duration et d'actions défensives. Des portefeuilles qui sont cependant, en termes de gestion des risques, à l'épreuve des tweets.

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