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Message Mattarella, ne banalisons pas ses propos : la dignité n'est pas synonyme de droits

Dans son discours devant les Chambres, le chef de l'Etat a mis l'accent sur le mot "dignité" en l'énonçant 18 fois. Mot qui a été superficiellement traduit avec des droits, alors que les questions à évaluer sont plus complexes. Voici lesquels

Message Mattarella, ne banalisons pas ses propos : la dignité n'est pas synonyme de droits

Les gros titres des journaux, comme la plupart des commentaires sur le discours dans les Chambres des Président Mattarella, a enregistré l'accent inhabituel et surprenant sur le mot dignité, qui apparaît 18 fois. Mais j'ai été frappé par sa banalisation immédiate. Au lieu de s'interroger sur le sens de l'usage si insistant d'un terme chargé d'histoire et de valeur, les commentateurs ont tous viré vers des rives sémantiques plus familières : ils ont traduit dignité par droit, et donc la longue série de figures et de thèmes évoqués par le président s'est transformé en une énumération de droits sociaux, certes formulée dans le langage quelque peu désuet de la culture catholique-démocrate.

Bref, une itération solennelle devient une injection d'inspiration sociale et éthique dans un présent dominé par inégalités et à partir pauvreté. Mais peut-on vraiment traduire la dignité en droits en invoquant l'écho d'anciennes distances aujourd'hui largement dépassées ? En fait, la leçon qui se dégage est que le terme dignité vient d'une culture, noble certes, mais aujourd'hui épuisée alors qu'elle ne peut être ravivée qu'en entrant (se traduisant) dans la culture moderne des droits. Non! Je ne crois pas du tout que l'utilisation du terme dignité soit un hommage à la tradition ou pire un résidu archaïsant. Je n'ai certainement pas l'intention de pratiquer l'exégèse du discours du président, ce ne serait pas approprié. Je voudrais juste souligner quelques problèmes qui rendent cette traduction linéaire problématique.

La dignité est un terme, hérité de civilisation humaniste, avec lesquels certains mouvements et groupes de femmes (auxquels j'ai moi aussi participé) ont tenté d'échapper aux dilemmes, aux contradictions réelles que la prolifération décousue des droits individuels produit dans nos sociétés désormais pleinement post-traditionnelles. 

En effet, l'emprise des diktats religieux sur les comportements sociaux et individuels s'est complètement relâchée et la sécularisation a fait des pas de géant ; les normes éthiques issues des systèmes hiérarchiques ont été sapées par le principe de l'égalité des individus. Par exemple, dans la famille où le principe de l'autorité conjugale et paternelle a été supprimé ; il n'y a plus d'institutions inaccessibles à certains sujets (comme la justice et l'armée aux femmes). Bref, la sécularisation et la disparition de la hiérarchie et de l'autorité traditionnelle se sont imposées.

Certes certaines minorités demandent à être reconnues et affirmées droits civiques encore nié à certains égards. Mais du point de vue de la révolution des femmes, il est problématique de penser la liberté des femmes en termes de droits. Tant que le processus de libération des femmes concerne la lutte contre toutes les formes de domination patriarcale, d'oppression et de subordination héritées du passé, il semble tout à fait évident de recourir à la forme de la modernité contre la tradition et de décliner la tension vers la liberté en termes de droits : droit au travail, à l'égalité avec les hommes, droit à l'égalité dans tous les domaines.

Mais que se passe-t-il lorsque le processus d'émancipation consume, érode les symboles, les structures et les formes de la tradition et que la liberté des femmes n'est confrontée qu'à elle-même, au milieu d'une modernité en devenir ? Il arrive que l'équivalence entre droits et liberté montre la corde, sapant l'omniprésence de la culture des droits : cela s'est déjà produit avec l'avortement (c'est-à-dire avec la reconnaissance d'une spécificité de citoyenneté féminine) pour lequel la liberté de choix garantie par la loi 194 n'est pas déclinée en termes de droits mais de l'autodétermination.

Jamais aussi du point de vue des femmes le paradigme du droit subjectif devenu dominant en économie comme en politique ou en éthique n'est apparu non seulement inadéquat mais générateur de dilemmes : nous les avons sous les yeux avec l'échange de la conception de la liberté comme une affirmation positive de l'intégrité et de la dignité de la personne avec l'idée mercantile de la liberté comme absence de contraintes à s'avoir sur le marché. Au point de l'invoquer pour justifier la pratique aberrante de la gestation pour autrui ou pour réduire la prostitution à un travail du sexe, à un travail comme un autre.

Le modèle atomiste qui est à la base de la grammaire des droits n'envisage aucun lien de dépendance e responsabilité entre les personnes et ne prend donc pas en considération les formes de relation dans lesquelles les sujets concernés ne sont pas également libres, égaux et autonomes (par exemple adultes-enfants, médecin-malade), alors que les nouvelles formes de pouvoir qui s'affirment ne sont pas réductibles à une relation de propriété. Ainsi le pouvoir procréateur ne configure pas, ou du moins ne devrait pas configurer, un droit subjectif juridiquement garanti à la maternité ou à la paternité.

Nous assistons à des évolutions contradictoires typiques d'un crise du système: essor positif des sphères de liberté des individus mais difficulté croissante à organiser cette liberté, avec le risque d'un retour dangereux de tendances réactionnaires prêtes à restaurer autoritairement des contraintes normatives.

Evoquer la dignité me semble un appel à des visions plus conscientes de la complexité qui marque le chemin du progrès.

°°°L'auteur a longtemps été professeur universitaire d'histoire des doctrines politiques, parlementaire du Parti démocrate et l'une des fondatrices du mouvement féministe "Si pas maintenant, quand ?"

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