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L'anti-européisme et sa montée résistible : il peut être démantelé

L'ancien premier ministre et aujourd'hui juge constitutionnel révèle les contradictions de la souveraineté et recommande aux pro-européens, et notamment aux plus jeunes, de ne pas baisser les bras mais de mener une courageuse bataille culturelle et civile pour démanteler les mensonges d'une représentation émotionnelle et caricaturale de Europe - VIDÉO.

L'anti-européisme et sa montée résistible : il peut être démantelé

Le Manifeste de la Villa Vigoni (éd. lancé l'année dernière à Rome par un groupe de jeunes universitaires et professionnels) est venu au bon moment par les bonnes personnes. Le 60e anniversaire du traité de Rome n'a pas été une fête comme tant d'autres. Il est tombé dans l'un des moments les plus difficiles de notre vie européenne commune, marqué par une marée apparemment inépuisable de mouvements politiques, qui obtiennent un soutien croissant dans divers pays de l'Union avec des slogans souverains capables de capter le malaise et les angoisses de tant de nos populations, promettant une vie meilleure à l'abri de leurs frontières respectives, sans immigrés, sans les contraintes budgétaires imposées par l'Europe et sans les trop nombreuses règles avec lesquelles elle nous domine. Avec des slogans comme celui-ci, le référendum sur le Brexit a été remporté en 2016. Ailleurs, ce n'est pas la question, mais l'anti-européanisme est désormais redouté comme le ciment d'une éventuelle majorité au prochain Parlement européen. 

Doit-on se rendre ? Faut-il faire comme l'actuel leadership européen qui - notent les auteurs du Manifeste lorsqu'ils exposent les raisons qui les ont poussés à l'écrire - se révèle manquer de courage et de vision, prêt tout au plus à limiter les dégâts sur le Status Quo? L'opinion qui prévaut, parmi les pro-européens eux-mêmes, le devient, car l'impopularité actuelle de l'Europe n'en permettrait pas plus et surtout elle serait sourde aux arguments, tous rationnels, avec lesquels on peut soutenir sa cause, face à la forte emprise émotionnelle sur les contre-arguments. Et voici le sujet du ventre, du moins en italien. Les électeurs réagissent désormais avec leur ventre, les populistes parlent justement avec leur ventre, et l'appel à la raison est pour cette raison perdant. 

Vivaddio, ce n'est pas forcément comme ça, nous dit le Manifeste. Et il nous le dit au bon moment, car on sent de plus en plus que l'invincibilité du ventre est le fruit plus de la lâcheté que de la vérité. Et même s'il est vrai, pour le dire en termes moins vulgaires, que l'émotion joue toujours son rôle en poussant d'un côté ou de l'autre, il n'est nullement certain que des arguments rationnels s'affirment avec clarté et énergie en faveur de causes pour lesquelles il est également possible de susciter la sympathie. 

Certes, dans les premières décennies de notre histoire commune, la cause de l'intégration a su se servir d'un message (messianique, comme le définissait Joseph Weiler) d'une force émotionnelle sans pareille, « plus de guerres entre nous, plus de fils, de frères , des pères morts par millions , fini les interminables étendues de croix sur les bords de nos rues ». Le message s'adressait d'abord aux générations qui avaient perdu ces enfants, ces frères, ces pères, puis continuait à s'adresser à celles qui suivaient immédiatement, qui les avaient au moins en mémoire. Après avoir certainement perdu sa force, il est devenu lui-même un (seul) argument rationnel. Mais il n'est pas du tout vrai - ayons le courage de le dire - qu'un argument rationnel manque aujourd'hui de capacité à circuler et à être accepté. 

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Nous sommes à l'ère des réseaux sociaux, des fake news qui deviennent virales, des préjugés largement diffusés. Je trouve paradoxal qu'on pense à des limitations légales pour les combattre et plutôt qu'on ne travaille pas à les contrer, en faisant circuler tout aussi largement les vérités qu'ils nient. S'il y a un intérêt, il y a aussi ceux qui bougent, et l'effet est atteint. Pensons à cette mère, inquiète que son enfant immunodéprimé se retrouve entouré d'enfants non vaccinés à l'école. Il a recueilli deux cent mille signatures contre le "no vax" et a ainsi permis à la raison de porter un mauvais coup au préjugé. 

Cela peut aussi être fait pour l'Europe. En attendant, il peut être présenté d'une manière beaucoup moins haineuse que ne le font aujourd'hui les anti-européens incontestés. Est-ce une pléthore de bureaucrates? Non, elle compte moins d'employés qu'une grande municipalité. Pourtant, ils passent leur vie à écrire des règles incompréhensibles et abstruses que nous devrions appliquer. Non, ce n'est pas vrai non plus. Comparons une directive européenne, composée d'articles courts et clairs, et l'une des nombreuses lois italiennes faites à la place d'articles de trois pages chacun, tous pleins de références à d'autres lois. Il fait des choses qui ne nous intéressent pas de toute façon. C'est un mensonge encore plus grand. Sommes-nous intéressés par la protection de la nature, sommes-nous intéressés par la protection de nos territoires où nous avons des panoramas à ne pas défigurer et une biodiversité à ne pas détruire ? Nous, Italiens, avions été précurseurs en la matière, mais c'est ensuite l'Europe qui a pensé à nous pour tous avec son réseau de territoires protégés, Natura 2000, et qui est devenue aujourd'hui le garant vigilant de ces patrimoines, également envers nous. Est-ce qu'on trouve juste qu'avant chaque chantier de la Via, l'étude d'impact sur l'environnement ? Eh bien, c'est une invention européenne, à laquelle nous nous sommes adaptés. Sommes-nous contre les décharges malsaines et malodorantes ? C'est l'Europe qui les a interdits et qui, au mieux, nous inflige une amende, car nous continuons à en avoir. Sommes-nous contre l'extension des concessions sans appel d'offres, qui récompensent toujours les mêmes et empêchent les autres de s'affirmer ? C'est l'Europe qui s'en charge et lutte contre ces privilèges. 

Ce ne peut donc pas être dans ce qu'elle fait que nous soyons mécontents de l'Europe. Cela paraîtra d'abord paradoxal à nos consommateurs de fake news, mais finalement ils devront eux aussi digérer : la vérité est que nous sommes insatisfaits de ce que l'Europe ne fait pas et devrait faire, pas de ce qu'elle fait et a raison de faire. Les souverains eux-mêmes ne tirent-ils pas sur l'Europe, car la frontière sud de l'Italie n'est pas une frontière italienne, mais européenne et donc l'Europe doit-elle s'en occuper ? Ils demandent donc eux-mêmes plus d'Europe, pas moins, et il y a effectivement un besoin de plus d'Europe. Il y en a besoin dans le domaine de l'immigration, dans la lutte contre le terrorisme, où un renseignement européen serait beaucoup plus efficace à des fins d'interventions ponctuelles, dans la protection sociale, pour garantir un niveau indépassable (à la baisse) de la même protection, dans la gouvernance de la zone euro, pour faire coexister réduction des risques et partage des risques. 

Il est donc temps de lui dire ces choses, patiemment, mais aussi fermement, sans crainte d'être marginalisée ou disqualifiée au nom du ventre. Et puis, au nom de quel ventre ? Le voici sorti car le message du Manifeste, en plus d'apparaître au bon moment, vient aussi des bonnes personnes. Les analyses de la répartition des voix par génération au référendum sur le Brexit, que nous connaissons bien désormais, et les sondages que nous avons sur les autres pays nous disent uniformément une chose, c'est que le ventre des jeunes n'est pas le même que celui des générations qui les précéder. Sur le plan affectif, en effet, les jeunes sont beaucoup moins hostiles à l'Europe que leurs concitoyens plus âgés : ils apprécient les choses (auxquelles je faisais référence) que fait l'Europe, ils se sentent plus gratifiés qu'offensés par les frontières sans barreaux, ils aiment les séjours pédagogiques et possibilités d'emploi, peut-être pour un certain temps, dans d'autres pays de l'UE. Naturellement ils ne sont pas tous comme ça, il y a ceux non moins Gurdulù des anciens face aux préjugés anti-européens, tout comme il y a - et il y a toujours eu - ceux atteints par les idéologies crues du nationalisme ethnique. 

Cependant, nous touchons ici un tournant important pour comprendre la force du succès actuel de la souveraineté anti-européenne, mais aussi pour en apprécier les limites. C'est la ligne de partage qui sépare, dans les soixante ans d'histoire de la construction européenne, les générations qui ont initié et consolidé cette intégration, celles qui ont pris le relais immédiatement après, qui ont perdu la forte motivation (messianique) des premières et n'ont pas encore rejoints par les bénéfices pédagogiques et culturels d'une formation européenne, enfin ceux qui ont suivi ou suivent cette formation. Eh bien, le destin a voulu que l'une des situations les plus difficiles que l'Europe ait traversées en raison de l'accumulation de différentes crises dans le même court laps de temps (l'économie, les nouvelles technologies, l'immigration, le terrorisme), est arrivée alors que les générations intermédiaires étaient et sont toujours les plus lourds ; les moins européens, ceux dans lesquels la valeur de l'Europe se fait le moins sentir. Cela s'applique aux électeurs et cela s'applique également aux élites dirigeantes, qui sont devenues de plus en plus habituées à faire passer l'intérêt national avant l'intérêt européen. 

Il est frappant - et donc incontournable - que dans des pays comme l'Autriche ou l'Italie, ce sont aussi des jeunes, quadragénaires voire trentenaires, qui prennent la tête du gouvernement sur la déferlante de positions anti- ou très anti-européennes . Il est frappant, cependant, non pas de nier ce que je disais à propos des jeunes générations, mais parce que cela nous oblige à constater - et nous l'avions déjà fait - que la contagion n'épargne même pas les jeunes et, qui plus est, l'opportunisme politique parmi eux aussi trouve ses espaces et ses protagonistes. Il y a ces protagonistes, mais il y a aussi les auteurs du Manifeste de la Villa Vigoni, de jeunes universitaires, des personnalités du monde professionnel et de l'entreprise, tous trentenaires ou quadragénaires tout au plus. Ce sont les bonnes personnes, car ils parlent au nom de générations qui pensent en grande partie comme eux. 

D'où les raisons de la confiance ; confiance dans un avenir européen encore possible, qu'il faut aujourd'hui protéger des bribes des eurosceptiques, mais aussi faire progresser pour ne pas frustrer les générations qui y croient et qui, au fil des années, l'intégreront toujours plus fermement dans leur propres mains. Je dois aussi ajouter que je ressens personnellement l'urgence, mais je ressens aussi les raisons de la progressivité. J'aime le Manifeste, mais je ne suis pas d'accord avec la proposition, adressée aux Parlements nationaux, de nommer leurs délégués, afin qu'ils puissent se réunir à Rome et rédiger immédiatement la Constitution d'une Union fédérale, qui ne soit approuvée qu'à la majorité des États membres. Robert Schuman lui-même dirait que l'hostilité qui s'est développée entre nous ces dernières années ne permet plus aujourd'hui un pas aussi long. La solidarité dont il parlait est nécessaire et il faut donc du temps pour qu'elle revienne à la formation. Mais la voie des réformes visant à une plus grande intégration dans les différents domaines doit être reprise, sachant que l'anti-européanisme ne sera pas numéroté, mais qu'il n'aura pas non plus de longue durée de vie. 

Nous n'avons pas besoin de créditer ces générations intermédiaires grises de plus de ressources et de plus de longévité qu'elles n'en ont peut-être. Dès lors, pour contrer courageusement le bruit qu'ils sont capables de faire aujourd'hui, savoir que l'histoire, et la démographie, sont de notre côté, pas de leur côté, n'est pas un détail sans importance. 

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