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La guerre économique d'aujourd'hui et ses vrais protagonistes

La guerre économique d'aujourd'hui, portée par la mondialisation, se joue sur l'information et la technologie, mais qui en sont les véritables acteurs ? – Qu'est-ce que l'intelligence économique et quelle est son importance – Un livre du savant Giuseppe Gagliano.

La guerre économique d'aujourd'hui et ses vrais protagonistes

De Von Clausewitz à Von Neumann 

La célèbre phrase du général et stratège prussien Carl von Clausewitz, "La paix est la continuation de la guerre par d'autres moyens", prononcée à la fin des guerres napoléoniennes, déchire le voile qui cache une vérité inconfortable. Que les nations vivent dans un état de guerre permanent combattu à des fins hégémoniques, agissant plus dans une logique de conflit et de compétition que toute autre. Le monde contemporain est très différent de celui dans lequel a vécu le stratège prussien, même s'il existe de nombreuses similitudes profondes, si on le considère dans une perspective à long terme. 

Au temps de Clausevitz se déroulait la prise du pouvoir par la bourgeoisie, qui bouleversait le statu quo par la plus grande transformation des moyens de production de l'histoire avec l'introduction des machines-outils, du salariat et de la démocratie représentative. On assiste aujourd'hui à un bouleversement tout aussi puissant du statu quo mis en place par la technologie et l'information. Le stade de développement de cette transformation correspond à ce qui se passait au temps de Clausewitz avec la première révolution industrielle en plein essor et déjà avec les prodromes de la seconde. 

Nous sommes aujourd'hui à l'ère de Von Neumann : l'économie binaire de l'information et des services immatériels est le moyen par lequel le conflit se prolonge en temps de paix. Et nous entrons dans l'ère de la deuxième révolution technologique, celle de l'intelligence artificielle, qu'il est même difficile d'imaginer. Quelque chose de certain, cependant, peut être dit. C'est la guerre économique et la guerre technologique qui redéfinissent le paradigme de l'hégémonie entre nations et communautés, qui peut être l'une des futures formes post-étatiques, comme ne se lassent pas de le répéter les penseurs sociaux les plus visionnaires de notre temps. Mais comme nous le dit le livre que nous présentons, ce sont encore les États, soutenus par des entreprises modernes, qui dominent l'arène mondiale 

Les nouveaux scénarios d'après-guerre fredda 

La nouvelle direction chinoise voit la conquête de l'hégémonie mondiale en matière d'intelligence artificielle et des délais ont également été fixés pour la mettre en œuvre. Espérons qu'ils se trompent ! Les États-Unis ont compris l'ampleur du défi et se préparent à y faire face, même s'ils ne savent pas encore comment s'y prendre. L'Europe a trop pris du retard et se dirige vers la marginalisation. L'Italie est déjà en marge. Il y a de quoi s'inquiéter. 

Giuseppe Gagliano, président du Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo De Cristoforis), spécialiste des questions géopolitiques et géostratégiques, a récemment publié un essai, Guerre économique. État et entreprise dans les nouveaux scénarios internationaux, dans lequel il entreprend une analyse de la dynamique moderne de la guerre économique qui est revenue avec force à l'agenda politique mondial après la fin de la guerre froide. 

Cette sortie, attendue et comprise comme le début d'une ère d'harmonie entre les nations et le triomphe de la forme démocratique de l'État, n'a pas produit un résultat de ce type même en Occident, entre les États-Unis et l'Union européenne, non pour ne citer que le reste du monde. Après la guerre froide, il y a eu la mondialisation avec ses conséquences : le désordre international, où tout le monde se bat contre tout le monde. Nous avons demandé à Giuseppe Gagliano de clarifier son point de vue et de suggérer quels remèdes il voit au déficit culturel italien qui s'exprime dans la crise du rôle de notre pays. Bonne lecture. 

Une menace asymétrique 

Le monde change, la réalité est différente, les événements et les manières d'appréhender la politique changent. Et aussi les outils : si autrefois l'affirmation de Clausewitz selon laquelle la guerre est de la politique faite avec d'autres moyens était valable, aujourd'hui on peut dire que la politique (et l'économie) est une guerre faite avec l'utilisation de l'information. 

La menace n'est plus seulement celle à laquelle nous étions habitués et qui pouvait être géographiquement localisée dans l'attaque d'une grande puissance contre une autre puissance. Aujourd'hui, la menace est asymétrique, diversifiée, en constante évolution, voyageant sur le net, immédiate et, surtout, dirigée contre l'ensemble du système. Il ne vise pas des cibles militaires ou politiques, mais des intérêts commerciaux, industriels, scientifiques, technologiques et financiers. Cela amène leintelligence se structurer sur de nouvelles missions : protéger non seulement l'ensemble du système, mais aussi les maillons faibles de la chaîne de production. Tout cela nécessite un changement de mentalité, de modes de fonctionnement et une mise à jour continue, notamment en termes de culture d'entreprise. Elle nécessite, avant tout, une interaction étroite desintelligence avec le secteur privé, avec toutes les difficultés qui peuvent survenir. 

Le rôle central de l'intelligence économique 

Les crises que nous traversons, ainsi que la physionomie industrielle et commerciale de notre époque, nous amènent à considérer très attentivement l'idée de "guerre économique". 

C'est principalement après la fin de la guerre froide que les rapports de force entre les puissances s'articulent autour des problèmes économiques : la plupart des gouvernements aujourd'hui ne cherchent plus à conquérir des terres ou à asseoir leur domination sur de nouvelles populations, mais tentent de construire un potentiel technologique, industriel et commercial capable d'apporter de l'argent et de l'emploi sur son territoire. La mondialisation a transformé la concurrence, autrefois "naturelle" et "limitée", en une véritable "guerre économique". 

Le défi économique diminue les espaces disponibles pour la guerre militaire, mais le but ultime, celui de l'accumulation de pouvoir et de bien-être, reste inchangé. 

Les stratégies nationales de intelligence récemment adoptées par de nombreux gouvernements, réservent un rôle central aux opérateurs privés dans le maintien de la sécurité, grâce à la dotation en infrastructures informatiques et au premier actif de l'ère numérique : les données. De la protection des activités économiques privées à la protection des intérêts économiques nationaux, le pas est court. 

Par intelligence économique, nous entendons précisément cet ensemble d'activités de collecte et de transformation de l'information, la surveillance de la concurrence, la protection de l'information stratégique, la capitalisation des connaissances afin de contrôler et d'influencer l'environnement économique mondial. C'est donc un instrument de pouvoir à la disposition d'un État. 

Acteurs de la guerre économique 

Mais qui sont les acteurs de la guerre économique ? 

  • Les États, surtout, qui restent les régulateurs les plus influents de l'arène économique, malgré leur déclin relatif dans la vie des nations et les diverses contraintes qui pèsent sur eux, à commencer par les organisations internationales comme l'Union européenne. Ce qui a vraiment changé, c'est qu'aujourd'hui les États doivent tenir compte de plusieursintervenant(ONG, organismes internationaux, entreprises, médias). Ils conservent cependant un rôle d'arbitre que chacun des autres acteurs ne fait que souligner, sollicitant régulièrement leur intervention. 
  • Des entreprises qui, face au nouveau scénario géo-économique hyperconcurrentiel, ont adopté la maîtrise de l'information stratégique comme instrument de compétitivité et de sécurité économique. 
  • Société civile : élargir les débats sur les questions de société concernant l'activité des entreprises elles-mêmes (nutrition et bien-être, progrès technique et risques pour la santé publique, industrie et environnement, transports et sécurité des voyageurs, informatique et libertés individuelles), la normalisation et la démocratisation des l'utilisation d'internet, l'implication croissante de la justice dans le contrôle du travail des entreprises, conduisent à une augmentation des cyberattaques contre les entreprises par des acteurs de la société civile. L'élargissement des débats sur les risques liés à l'environnement, sur le développement durable, sur l'investissement socialement responsable, sur la responsabilité sociale des entreprises, amplifie la légitimité des enjeux sociaux.
  • L'infosphère : celle-ci ne constitue pas une catégorie de personnes physiques ou morales, mais plutôt une dynamique, c'est-à-dire l'ensemble des interventions, des messages diffusés à travers les médias et le web. C'est un outil particulièrement insidieux car il fonctionne comme une caisse de résonance dans laquelle les idées, les émotions et les impulsions émises par un nombre infini de personnes se mélangent et se recombinent en permanence, sans véritable sujet dominant et qui exerce pourtant une influence déterminante, positive ou négative, sur les individus et les organisations. Jetée dans l'infosphère, une déclaration peut avoir le pouvoir de déclencher une controverse féroce, des réactions politiques dures, des crises médiatiques, des atteintes à la réputation aux dépens de l'entreprise. Elle peut donc devenir une arme de déstabilisation particulièrement efficace. N'oublions pas que l'image et la notoriété d'une marque représentent un capital stratégique qui impacte l'activité commerciale et financière des entreprises. 

Le rôle de l'intelligence économique et le déficit culturel italien 

Or, ce que l'Allemagne a mis en place contre notre pays s'inscrit non seulement adéquatement dans le cadre de l'infosphère mais constitue plus généralement une véritable guerre de l'information dans le but de discréditer politiquement notre pays et de lui nuire économiquement. 

L'absence de réaction de notre pays ou son incapacité à anticiper ce genre d'attaques dépend aussi du retard pris dans le cadre de l'intelligence économique. La France et les États-Unis l'ont déjà parfaitement compris. 

En effet, pour Christian Harbulot, l'intelligence économique est la recherche et l'interprétation systématique d'informations accessibles à tous, dans le but de connaître les intentions et les capacités des acteurs. Elle englobe toutes les capacités de surveillance de l'environnement concurrentiel (protection, veille, influence) et se distingue de l'intelligence traditionnelle par la nature de son champ d'application (information ouverte), par la nature de ses acteurs (placés dans un contexte de culture collective de informations), du fait de ses spécificités culturelles (chaque économie nationale génère un modèle spécifique d'intelligence économique), représentant le tout selon un schéma d'intelligence économique à trois niveaux : celui des entreprises, le niveau national et le niveau international. 

Par ailleurs, c'est certainement grâce à Christian Harbulot qu'une réflexion large et articulée sur l'intelligence économique s'est développée en France. Les écrits de C. Harbulot sont en fait de véritables essais sur la nature des affrontements économiques écrits dans le but de convaincre les responsables politiques qu'une exploitation offensive de l'information est un facteur clé de la réussite d'un pays. A travers une analyse comparative des cultures, Harbulot a expliqué pourquoi certains peuples se sont mobilisés en abordant les aspects conflictuels de l'économie de marché et d'autres non, adoptant la thèse selon laquelle le capital informationnel est à la fois un facteur de production mais aussi une arme offensive, ainsi que dissuasif. 

Outre les protagonistes de l'école de guerre française, des analystes américains tels que John Arquilla et David Rundfeldt ont théorisé "l'information dominance". Ces chercheurs de la Rand Corporation, depuis 1997, ont théorisé le concept de dominance de l'information. Définie comme le contrôle de tout ce qui est information, cette doctrine aurait pour vocation de façonner le monde par l'harmonisation des pratiques et normes internationales sur le modèle américain, dans le but de mettre sous contrôle les instances décisionnelles. Pour que notre pays puisse atteindre une compétitivité durable et non pas occasionnelle, donner vie à une structure d'intelligence économique en s'affranchissant d'une gestion purement pragmatique comme celle mise en place par l'Aise et l'Aisi. La voie à suivre, comme l'a souligné le général Carlo Jean, est précisément celle mise en place par l'Ecole française de guerre économique.

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