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Immigration et comptes publics, pomme de discorde entre Renzi et la Commission européenne

Les dépenses ponctuelles ne sont pas comptées par la Commission européenne comme les permanentes : c'est la pomme de discorde entre Renzi et Bruxelles sur les dépenses d'immigration qui rend difficile une solution comme celle proposée par le Premier ministre italien, politiquement irréprochable mais discutable au niveau de l'UE Mais il y a une solution.

Immigration et comptes publics, pomme de discorde entre Renzi et la Commission européenne

Les tensions entre l'Italie et la Commission européenne semblent sans fin. Au centre des "questions-réponses" de ces jours-ci entre le Premier ministre Renzi et divers représentants de l'exécutif européen - hier, Jean-Claude Junker a également été rejoint par le commissaire aux Affaires économiques Pierre Moscovici - se trouvent les dépenses liées à l'immigration et leur impact sur les finances publiques nationales. En particulier, Renzi s'est montré quelque peu irrité par le traitement comptable différent que la Commission semble vouloir appliquer à la contribution des pays européens à la Turquie, qui sera séparée des déficits nationaux, par rapport à celle réservée aux dépenses des États individuels pour la gestion des immigrés seront cependant évalués "au cas par cas", sans aucun automatisme. 

Pour l'Italie, par exemple, le feu vert à la soi-disant "clause de sécurité", environ 3,6 milliards d'euros (environ 0,2% du PIB) à soustraire du calcul du déficit aux fins du respect des règles budgétaires des pays européens, il n'est pas encore arrivé. Du point de vue du Premier ministre italien, il s'agit d'une distinction inacceptable car "il ne peut pas y avoir d'immigrés de classe A", les Syriens qui peuplent les camps de réfugiés en Turquie et les "immigrés de classe B", les milliers d'Italie désespérés que sauve de la Méditerranée chaque jour grâce au travail inlassable de la police et des volontaires italiens.

Cette affirmation, efficace et inattaquable d'un point de vue politique, est pourtant trompeuse : la distinction opérée par la Commission européenne ne concerne en effet pas le type de migrant mais le type de financement. La nature de la dépense est l'un des critères que l'exécutif communautaire suit dans l'application des règles budgétaires. 

Une aide financière à la Turquie (environ 3 milliards d'euros) pour freiner l'afflux de réfugiés en Europe a été décidée lors du Conseil européen de décembre dernier : une mesure fortement souhaitée par l'Allemagne, aux prises avec une arrivée massive de Syriens difficiles à gérer mais convenue avec les autres chefs d'État et de gouvernement. L'Italie, cependant, avant de mettre l'argent dans l'assiette (280 millions d'euros) veut comprendre "comment comprendre et concevoir cet apport" car il reste encore deux questions ouvertes. 

Premièrement, le gouvernement de Rome souhaite que la totalité des 3 milliards d'euros, et pas seulement un tiers, provienne des fonds de l'UE. C'est pourtant une demande qui n'est pas facile à satisfaire puisque, pour la période 2014-2020, l'essentiel du budget européen a déjà été alloué. Le budget, entre autres, est très réduit (environ 1% du PIB européen) étant donné que le montant total a été réduit de 3,5% avec le consentement de tous les pays. Donc, si la contribution doit être financée par les États individuels, et nous arrivons ici au deuxième point, ces dépenses, du point de vue du gouvernement à Rome, devraient être séparées du déficit aux fins du pacte de stabilité et de croissance . 

Sur ce point, la Commission est parfaitement en ligne avec la position italienne, et - même ces derniers jours - a répété que le quota national d'aide au gouvernement turc n'aura aucun impact sur les finances publiques. En fait, il s'agit d'une dépense "ponctuelle", effectuée une seule fois et donc, sur la base des règles fiscales européennes, déductible du calcul du déficit. En revanche, il en aurait été autrement si le choix avait été fait d'une assistance durable aux camps de réfugiés : les dépenses ne seraient pas "ponctuelles", mais "permanentes" et auraient donc un impact sur la comptes publics.

Tout comme l'argent que les États membres fournissent pour gérer le problème de l'immigration chez eux : ces dépenses ne peuvent pas être considérées comme "ponctuelles". La différence entre coûts « ponctuels » et « permanents » est donc essentielle pour comprendre la position de la Commission. En effet, il est difficile d'inclure les dépenses permanentes d'accueil des migrants dans les clauses de flexibilité qui autorisent "des dépenses supplémentaires financées en déficit en cas d'événements exceptionnels" : le phénomène d'immigration auquel nous assistons n'est malheureusement pas un "événement exceptionnel". 

La part qui, en revanche, pourrait être considérée comme "exceptionnelle" - et donc dissociable du calcul du déficit - est la part supplémentaire par rapport à la moyenne des années précédentes. C'est pourquoi, dans le cas de l'Italie, la Commission a décidé de bloquer et ne s'est pas encore prononcée : elle veut procéder à une évaluation ex post des coûts encourus.  

La logique qui sous-tend ces règles budgétaires européennes - approuvées et acceptées par tous les pays - est la suivante : les dépenses financées par le déficit et impliquant une déviation de la trajectoire d'ajustement doivent être justifiées (mise en œuvre de réformes, augmentation de l'investissement public ou présence de dépenses exceptionnelles) et , doit avant tout être temporaire : la crise de ces dernières années a montré les conséquences de finances publiques nationales insoutenables sur l'ensemble de la zone. Si, en revanche, les dépenses sont permanentes, elles sont incluses dans le calcul du déficit. La vérification se fait au niveau technique, avec le travail des Sherpas à Bruxelles. Cela se produit pour tous les pays et l'Italie ne sera guère traitée différemment. En faire un cas politique est tout à fait inhabituel et peut-être même contre-productif.

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